Mellizo Doble d’Israel Galvan et Nino De Elche au Théâtre de la Ville.

Quand la fureur des pas qui claquent s’associe au chant authentique d’une voix.

Mellizo Doble d'Israel Galvan et Nino De Elche au Théâtre de la Ville.

Israel Galvan, fils des bailaores José Galvan et Eugenia de Los Reyos, est né en 1973 à Séville, où il a grandi dans l’atmosphère des tablaos, des académies de danse flamenco et des fêtes. Grâce à des créations audacieuses nées d’une parfaite maîtrise de la culture chorégraphique flamenca et composées à partir de ses états intérieurs assumés, il s’est forgé une stature internationale. Couronné de maints prix prestigieux, il est artiste associé au Théâtre de la Ville.

Quant à Nino De Elche, originaire d’Elche dans la région d’Alicante, il joue de la guitare à huit ans, chante à neuf ans, et gagne ses premiers prix de chant - une évidence naturelle. Il expérimente sans cesse, se permettant toutes les folies vocales, et ouvre sa musique à d’autres disciplines artistiques, comme la performance, la danse, la poésie ou le théâtre, en collaborant avec les plus grands noms du flamenco de notre temps, musiciens et chorégraphes emblématiques.

Israel Galvan est un bailaor aventurier de Séville, adepte des clins d’oeil à l’abstraction, fort d’un style personnel affirmé ostensiblement, qui module le phrasé, les arrêts et les silences, pour s’ouvrir au butô, au kathak et autres heavy metals. Au fil du temps, il inscrit son corps directement dans la partition musicale, son corps dansant devenant un instrument - distancié - de percussion corporelle. il vibre, tel le double de lui-même - ombre, reflet, écho -, incarnation inouïe, mise en abyme, métaphore de soi égrainée à l’infini, avec pour le public, la sensation d’un vertige ineffable.

Sur le plateau de scène, la complicité est entière avec Nino De Elche, partenaire cantaor-performer. Le dédoublement d’Israel Galvan s’accomplit face aux spectateurs, dans la lumière et dans la nuit de l’ombre, pour un public qui en prend plein les yeux d’images puissantes et plein les oreilles des modulations inouïes d’une voix, un feu d’artifice de sons et de dessins gestuels sculptés et dans le volume de la scène. Et le duo scénique est doublement jumeau : Mellizo Doble.

L’art qu’on voudrait réduire à la seule tradition est planche de salut vers l’avenir - avant-garde. En une seule phrase chantée, le chanteur passe de tonalités italiennes ou russes à l’Andalousie profonde - un art né au coeur de la migration des peuples, entre expérimentation et hétérodoxie, un aller-retour permanent entres la tradition et les élans renouvelés d’un futur proche et de la vie.

En majesté sonore, tels les souliers blancs ou rouges ou noirs de conte enfantin, les pointes et les talons d’Israel Galvan jouent leur partition somptueuse, accessoires sacrés que celui-ci prépare rituellement à l’action quand il écrase et réduit en poussière une sorte de matière « galvanisée » - craie ou sable - sonorisée, qui en impose dans le silence de la salle. De même, des plaques ou objets numérisés sur lesquels ou à côté desquels l’interprète ébauche musicalement ses pas amplifiés. Les pieds de l’artiste chaussés de magie martèlent leur zapateado - visions futuristes.

L’accord des artistes sur la scène est parfait - jeu, amusement, distance, humour et ironie -, et le public a le sentiment d’assister à une cérémonie démoniaque dont il n’aurait pas toutes les clés. puissance des sortilèges d’une voix et d’une danse, désarticulées pour mieux se conjuguer.

Dans le noir du plateau, en exergue inattendue, à la fois auditive et visuelle, le chant de l’un et la danse effrénée et indécidable de l’autre, deux arts sublimes et pointus dans leur confidentialité majestueuse et sincère, furtifs et qui aiment à s’échapper, libres -un temps admirable suspendu.

Frappes du pied de l’un et cris de l’autre, chemise blanche du chanteur et tablier rouge du danseur, avant que tous deux ne revêtent des habits sombres pour se confondre avec la nuit et ses mystères, avec l’énigme d’être au monde et de vivre, que l’art ponctue tout en le transcendant.

Et taper encore du pied délibérément pour s’inscrire sur la terre et s’ancrer dans ce monde, pour y respirer - soi avec les autres, ensemble -, et ressentir encore le terrain caillouteux de l’espace qui soutient - la verticalité tenue d’un corps sur l’horizontalité de la planète -, jusqu’au bout, si possible.

Mellizo Doble d’Israel Galvan et Nino De Elche, chorégraphie Israel Galvan, musique Nino De Elche, lumières Benito Jimenez, son et direction technique Pedro Léon, régie générale Balbi Parra. Avec Israël Galvan - danse - et Nino De Elche - cante. Du 1er au 9 février 20h, dimanche 15h, Théâtre de la Ville - Espace Cardin - Espace Cardin 1, avenue Gabriel 75008 Paris, -theatredelaville-paris.com
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

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Véronique Hotte

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