Madame Favart

Favart : faire revivre un heureux bazar

Madame Favart

Le rideau sur lève sur une gaie effervescence dans les ateliers de couture de l’Opéra comique, une cinquantaine de bustes que de jolis effets de lumière modulent, ornent le mur qui fait face aux spectateurs, encadrés par deux balcons de part et d’autre de la scène. Etonnant choix que cet univers de machines à coudre, rouleaux de tissu, blouses de travail et patrons, pour un livret qui démarre pourtant dans une auberge, se prolonge dans un camp militaire et se termine sur une scène de musique.
Mais on accepte ce parti-pris d’Anne Kessler tant la fidélité au livret par ailleurs, le soin apporté au jeu d’acteur, aux effets scéniques restituent sa cohérence à l’ensemble. Coutumière de la scène, la pensionnaire de la Comédie française s’essaie pour la première fois à l’opéra avec cette Madame Favart ressortie pour la bonne occasion. Elle avait déclaré que l’humour du livret l’avait touchée, Anne Kessler transpose ce sentiment avec adresse, grâce à une lecture singulière et une distribution à la fibre musicale autant que théâtrale.
Il n’en fallait pas moins pour cet opéra créé en 1878 qui met en lumière le couple Favart : elle, actrice et chanteuse, et lui intellectuel, poète et écrivain qui a donné son nom à la salle qui nous recevait.
Cette pièce est un joyeux bazar provoqué par d’incessants quiproquos, travestissements, échanges d’identité. Tout part pourtant simplement d’un Maréchal lourdaud et entreprenant, le marquis de Pontsablé, qui emprisonne Charles-Simon Favart pour se donner toutes les chances de faire de Justine Favart sa maîtresse. Elle, bien sûr, ne le veut pas, et sait pouvoir compter sur ses amis Hector -futur subalterne de Pontsablé- et Suzanne, sa compagne.

Le livret d’Alfred Duru et Henri Chivot prévoit l’installation -un peu longue- de ce joyeux désordre, avant que le rythme ne s’emballe dans les deux suivants. La faute, murmure-t-on à l’entracte, à des passages parlés bien trop délayés pour un opéra… S’il est exagéré de dire que cette partition vaut celle des Contes, elle est toutefois riche et enlevée et nous fait pleinement entendre le génie facétieux d’Offenbach !
Pièce maîtresse de l’opéra, Madame Favart est interprétée par Marion Labègue dont les qualités vocales plaisent et conviennent au rôle. Sur la retenue au cours du premier acte -quelques mediums difficiles notamment-, la Française se libère pleinement pour les deux suivants, s’appuyant vocalement sur des aigus riches et un vibrato serré parfaitement maîtrisé. Et alors, quelle comédienne : délicieuse lorsqu’elle feint le malaise devant les assauts de Pontsablé, pinçante en vieille tante, hilarante en tyrolienne !
A son bras, Christian Hemler en Charles-Simon Favart, montre un timbre profond et un grave ample et solide. Son engagement scénique, sa gestuelle et ses mimiques font de lui un personnage attachant.
La Suzanne de Anne-Catherine Gillet, malicieuse, enchante. On goûte sa voix fine, une ligne de chant nette et des aigus délicats bien projetés.
Son mari, Hector de Boispréau, le lieutenant de Douai fraîchement promu, incarné par François Rougier, prend son rôle pleinement à cœur. Le charisme et le sens du jeu font de cet Hector un personnage drôle. Si la prestation vocale, dans l’ensemble est de bonne tenue, et la voix bien projetée, quelques aigus sonnent plus fragiles.
Eric Huchet se démarque en Pontsablé, grâce à un jeu naturel et une spontanéité pleine de fraîcheur. Ce Marquis goujat, plus occupé à satisfaire ses désirs qu’à gagner des batailles, finit déchu, par ordre du roi. Servi par une bonhomie, une assurance et un sens de l’autodérision exquis, Eric Huchet montre une voix claire et une diction parfaite. Le tout plait beaucoup au public de Favart !
Les seconds rôles sont parfaitement assumés par Franck Leguérinel, Lionel Peintre, Raphaël Brémard, Agnès de Butler et Aurélies Pès, qui comme leurs compères de chant, jouent aussi bien qu’ils ne chantent.
La direction intelligente de Laurent Campellone apporte couleur et vigueur à une partition intéressante, qu’il laisse s’emballer quand il le faut, en sachant subtilement garder le contrôle autant dans la fosse – orchestre de chambre de Paris- que sur la scène. Les Chœurs de l’Opéra de Limoges nourrissent cette Favart de leurs énergie, justesse et précision.
Madame Favart n’est peut-être pas LE chef d’œuvre de sa vie, mais la musique d’Offenbach est toujours belle, le livret amusant, l’interprétation très juste. Anne Kessler et sa troupe redonnent vie à cet opéra enfoui et célèbrent avec dignité cette Favart dans la salle éponyme. Joyeux 200e anniversaire !

Madame Favart, opéra-comique en trois actes, créé aux Folies Dramatiques en 1878.
Livret d’Alfred Duru et Henri Chivot.
Les 20, 22,24, 26, 28 et 30 juin 2019.
Direction musicale Laurent Campelleone, Mise en scène Anne Kessler, Dramaturge Guy Zilberstein, Scénographie, Andrew E. Edwards, Costumes Bernadette Villard, Chorégraphie Glysein Lefever, Lumières Arnaud Jung.
Avec :
Marion Lebègue, Christian Helmer, Anne-Catherine Gillet, François Rougier, Franck Leguérinel, Eric Huchet, Lionel Peintre, Raphaël Brémard, Agnès de Butler, Aurélies Pès.
Chœur de l’opéra de Limoges, direction Edward Ananian-Cooper, Orchestre de chambre de Paris.
Nouvelle production Opéra comique
Co-production Bru Zane, Opéra de Limoges, Théâtre de Caen.
Dans le cadre du 7e festival Palazzetto – Bru Zane Paris.
Crédit photo : S. Brion

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Quentin Laurens

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