Paris, théâtre Marigny

Lucide de Rafael Spregelburd

Jeu de piste

Lucide de Rafael Spregelburd

Après La Estupidez (La Connerie), La Paranoïa, La Panique et L’entêtement, Marcial Di Fonzo poursuit son exploration de l’œuvre de son compatriote argentin, Spregelburd inspirée des Sept péchés capitaux de Jérôme Bosch. On retrouve cette maîtrise audacieuse du dramaturge qui, partant d’une situation apparemment simple, déconstruit le texte, intervertit les points de vue, chamboule toutes les minutes le sens qu’on avait cru avoir échafaudé. Comme s’il jouait à perdre le spectateur dans un labyrinthe pour le transformer en enquêteur à la recherche d’indices qui se métamorphosent aussitôt exprimés. Dans L’entêtement, qui paraissait déjà pas mal baroque, on assistait aux mêmes scènes depuis des points de vue différents, et alternativement en français et en espagnol. Mais on ne perdait pas le fil. Ici, Spregelburd nous égare très vite, nous rattrape, nous sème à nouveau…ce pourrait être lassant si ce n’était mené en accéléré avec un sens ludique sidérant.
Le décor kitchissime peut mettre la puce à l’oreille, signe d’un deuxième degré qui se révèlera peut-être un troisième ou quatrième degré, au risque de donner le vertige. Sans compter qu’à de telles altitudes on risque de perdre de vue le motif. Ajouter à cela les costumes résolument moches les coiffures improbables, et surtout le jeu outrancier des acteurs,il est clair qu’il s’agit là d’un parti pris délibéré.

Une histoire à tiroirs

L’histoire s’annonce quelque peu scabreuse. Lucas, un jeune homme dégingandé (Micha Lescot) qui s’habille avec les robes de maman a vu sa vie bouleversée à l’âge de 10 ans quand il a fallu lui greffer un rein, celui de sa sœur. Et voilà que ladite sœur surgit pour venir réclamer son rein pour le donner à son mari en urgence lequel en vérité souffre des yeux, selon les dires de l’amant de la mère rencontré sur internet (Philippe Vieux). La mère (Karin Viard) et la fille (Léa Drucker) sont aussi hystériques l’une que l’autre, tandis que le fils fait des expériences de thérapie par le rêve. Il prétend être lucide lorsqu’il rêve et que cela lui permet de contrôler ses actions. Très vite on croit comprendre que ce qu’on voit est le rêve de Lucas, et les frontières se brouillent entre rêve et réalité. Elles se brouillent si bien, qu’au final, on découvre, quand on a réussi à suivre jusque-là, que ce n’est pas du tout ce qu’on croyait…

Sans aucun doute, c’est diaboliquement bien écrit, mais trop peut-être car le spectateur a toutes les chances de décrocher dans la mesure où la mise en scène et la direction d’acteurs prennent un malin plaisir à accentuer la confusion. Pourtant la réflexion menée en actes sur le statut de la fiction est une idée excitante mais le spectateur n’a pas assez de cartes en main pour jouer la partie à jeu égal et en tirer du plaisir. Il y a quelque chose de virtuose dans l’entreprise et son exécution mais, serait-ce dû à la trop grande complexité du texte ou parce que cette fois Marcial Di Fonzo ne mène pas la danse sur scène ? On ne retrouve pas la jubilation ressentie pour L’entêtement ou même La Paranoïa, malgré la présence électrisante et bien déjantée de Karin Viard qui jouait déjà dans La Estupidez.

Lucide de Rafael Spregelburd, traduction et mise en scène Marcial Di Fonzo Bo ; scénographie Vincent Sautier ; lumières, Maryse Gautier ; musique, Etienne Bonhomme ; costumes, Anne Schotte. Avec Léa Drucker, Micha Lescot, Karin Viard, Philippe Vieux. Au théâtre Marigny, du mardi au samedi à 21h, matinée le samedi à 16h30. Durée : 1h35. Rés : 089202220333.
www.theatremarigny.fr

Photo Guy Raynaud de Lage
Texte publié aux éditions de l’Arche

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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