Critique – Opéra-Classique

La Petite Renarde Rusée de Leos Janacek

Retour inédit de l’adorable fripouille

 La Petite Renarde Rusée de Leos Janacek

Sous les auspices de l’Arcal (dynamique compagnie nationale de théâtre lyrique et musical), la bestiole à longue queue velue et esprit rebelle, mise au monde lyrique à l’hiver de la vie de Leos Janacek vient de prendre le départ d’une longue tournée qui fera la joie des plus petits aux plus grands. On ne l’avait plus vue en si bonne forme depuis la presque légendaire réalisation d’André Engel à L’Opéra National de Paris (WT 1672 & 2374)

Louise Moaty, metteur en scène dont on a souvent apprécié l’élégante et souvent insolite démarche (voir WT 3535, 3994, 4793 : Venus et Adonis, Kaiser von Atlantis, le Dibbouk) opte ici pour un procédé ludique mêlant cinéma, peinture et dessin animé. Une sorte de théâtre optique exécuté à vue par un groupe de techniciens manipulant caméras, miroirs et spots lumineux pour projeter sur un écran suspendu les faits et gestes des acteurs qui interprètent leurs personnages à même la scène. Le procédé n’est pas complétement neuf : le vidéaste Pierrick Sorin l’avait inauguré et utilisé à plusieurs reprises au Châtelet, puis à Lyon avec des bonheurs très divers (voir WT1061, 3968 -La pietra del Paragone-, 3794La Flûte enchantée - 4662- La Belle Hélène) Mais Louise Moaty « vidéo-graphie » les aventures de la finaude renarde avec un bonheur constant. Les images fixes sur l’écran ont la force poétique des tableaux de Gustav Klimt et d’Egon Schiele. Quand s’impriment les silhouettes d’arbres décharnés par l’hiver on voit un un doigt accrocher aux branches des bouquets de feuilles verdoyantes.

Crapauds, sauterelles, moustiques

C’est le printemps, Bystrouska, la toute petite renarde fait ses premiers pas dans la nature et se laisse capturer par le garde-chasse du village avoisinant. Les premiers mois de sa vie se feront auprès des humains, un instituteur, un curé, une aubergiste, des enfants et aussi des bêtes comme elle, des poules qu’elle croque avec appétit et un chien brave et obéissant. Ce qu’elle refuse de devenir : elle prend la fuite, retrouve la nature et ses habitants, les crapauds, sauterelles, moustiques, papillons, blaireau, chouettes … et renard au masculin. Coup de foudre, jeux de cache-cache amoureux et noces ardentes. La toile de l’écran s’effondre et se transforme en drap nuptial. Les spectateurs, invités aux festivités sont bombardés de fleurs en papier. Ils se donc mariés et ont eu beaucoup d’enfants. Bystrouska restera égale à elle-même, rebelle et volontiers provocatrice. Un coup de fusil la tuera. Le conte facétieux s’achèverait-il en tragédie ? Pas vraiment. Car les petits renardeaux prennent déjà la relève. La vie continue.

Janacek avait dépassé ses 70 étés quand il composa ce joyau où se retrouvent les effluves moraves qui habitent toutes ses œuvres antérieures (Jenufa, Katia Kabanova etc…) ciselées ici avec un raffinement d’orfèvre. Il en trouva le sujet dans la nouvelle du poète Rudolf Tesnohlidek qu’un journal local publia illustré de croquis. L’avant-garde de la bande dessinée en quelque sorte. Et en prime, si on peut dire, Janacek était amoureux. Un amour impossible d’une femme à peine trentenaire … et mariée. Bystrouska en serait-elle le reflet rêvé ?

Enigmes de la vie

La production créée à la Maison de la Musique de Nanterre peuple la singularité de ce petit chef d’œuvre avec ses marionnettes, ses techniques et techniciens œuvrant à découvert et son chœur qui se mêle au public comme pour le rendre complice. Un chœur d’amateurs comme le seront tous les chœurs de la tournée. Celui-ci, avec de solides qualités vocales, prend un plaisir visible (et contagieux) à commenter en musique les rebondissements de la fable. Et les professionnels de la distribution sont à la tête de la fête : Bystrouska a le charme et la grâce et l’ampleur du timbre de la jeune soprano japonaise Noriko Urata, son renard chéri trouve en Caroline Meng, mezzo rôdée au répertoire baroque un amoureux idéal, le garde-chasse a les humeurs et les couleurs bougonnes du baryton Philippe Nicolas Martin, Françoise Masset passe en douceur et sans accroc d’un rôle à l’autre
(elle est la femme du garde-chasse, devient chouette et s’intègre dans le chœur des poules…) Tout comme Wassyl Slipak, Sylvia Vadimova, Paul Gaugler, Joanna Malewski, Sophie Nouchica-Wemel, Albane Carrère, tour à tour à plumes, à poils, en paysan, paysanne ou tsigane… Les 16 musiciens de l’ensemble TM+, créé et toujours finement dirigé par Laurent Cuniot, servent la musique de Janacek, dans un mélange de ferveur et de retenue, qui au fil des saynètes, finit par atteindre la grandeur des énigmes de la vie.

La Petite Renarde Rusée de Leos Janacek d’après Rudolf Tesnohlidek, créé à Brno en 1924. Ensemble orchestral des musiques d’aujourd’hui TM+, direction Laurent Cuniot, mise en scène Louise Moaty, scénographie Adeline Caron & Marie Hervé, vidéo Benoît Labourdette, lumières Nathalie Perrier. Avec Noriko Urata, Caroline Meng, Philippe Nicolas Martin, Wassyl Slipak, Sylvia Vadimova, Françoise Masset, Paul Gaugler, Sophie Nouchka-Wemmel, Joanna Malewski.

En tournée :

15 & 16 janvier : Nanterre – Maison de la Musique
19 février Saint Quentin en Yvelines, Théâtre/Scène Nationale
26 février Reims – Opéra
16 mars Besançon – Les Deux Scènes
14 &15 avril Massy – Opéra
23 avril Sablé-sur-Sarthe – L’Entracte
29 & 30 avril Le Mans – Les Quinconces-L’Espal

www.arcal-lyrique.fr - contact@arcal-lyrique.fr 01 43 72 66 66

Photos Enrico Bertolucci

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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