La Côte-Saint-André 2023 (I)

Soirées dans la cour du Château Louis XI et concerts de musique de chambre dans l’église rythment le Festival Berlioz de La Côte-Saint-André.

La Côte-Saint-André 2023 (I)

OUTRE LES GRANDES SOIRÉES LYRIQUES consacrées aux Troyens et à La Damnation de Faust, le Festival Berlioz proposait, comme de coutume, des concerts symphoniques ayant un lien plus ou moins affiché avec le compositeur, mais aussi des concerts de musique de chambre (à 17h, dans l’église Saint-André) souvent passionnants.

Côté orchestre, on ne gardera pas un souvenir ineffaçable de l’Harold en Italie dirigé sans grand ressort par Jérémie Rhorer à la tête du Cercle de l’Harmonie (où était passé le crescendo-decrescendo de la « Marche de pèlerins » ?), avec en soliste un Paul Zientara bien timide, dont on espère qu’il abordera plus tard la partition avec une tout autre sonorité et une vraie imagination d’interprète. La délicieuse Symphonie en ut de Bizet, inscrite au même programme, avait en revanche fort belle allure, riche dans le deuxième mouvement de cette longue phrase de hautbois merveilleusement lyrique, élégamment phrasée par un musicien qui, dans la « Sérénade » d’Harold, avait joué le cor anglais avec bien moins de conviction.

Autrement exaltant fut le concert donné le 25 août par les Talens lyriques de Christophe Rousset en hommage à Pauline Viardot. La soirée ne pouvait que s’ouvrir et se clore sur les deux airs de l’Orphée de Gluck tel que Berlioz l’a mis au point en 1859 pour la cantatrice. Marina Viotti, diction parfaite, timbre d’un beau métal (elle a fait précisément ses armes dans le heavy metal !), est très à l’aise dans ce répertoire, tout autant que dans le saisissant « Ô mon Fernand » de La Favorite de Donizetti. On applaudit aussi la virtuosité contrôlée de la chanteuse dans « Bel raggio lusinghier » de la Semiramide de Rossini, et la noblesse avec laquelle elle aborde le magnifique air de Sapho « Ô ma lyre immortelle » : Gounod a parfois été moins inspiré.

On peut même s’adonner au petit jeu des comparaisons quand Christophe Rousset aborde les trois entrées (c’est-à-dire les trois intermèdes instrumentaux) du troisième acte des Troyens, et Marina Viotti le monologue et l’air de Didon du cinquième acte. Mais comparaison n’est pas raison : même si l’on est dans le même lieu, et même si Les Talens lyriques jouent également sur instruments historiques, Dinis Sousa et Paula Murrihy, en compagnie de l’Orchestre révolutionnaire et romantique, entendus l’avant-veille, ne peuvent que nous avoir apporté autre chose en interprétant l’œuvre de Berlioz au long cours.

Diabolique et déhanché

Côté musique de chambre, nous avons pu assister, les 22 et 23 août, à deux des concerts proposés par de jeunes solistes placés sous le parrainage de Renaud Capuçon. Nathalia Milstein est une pianiste déjà confirmée, mais le beau phrasé de la violoncelliste Stéphanie Huang et l’autorité de la violoniste Anna Egholm ne laissent pas non plus indifférents. Associées à l’altiste Paul Zientara, qu’on a cité plus haut, elles nous ont permis d’entendre la Première Sonate pour violoncelle et piano de Mendelssohn (pourvue notamment d’un Andante au profil de fantaisie), le robuste Quatuor avec piano op. 41 de Saint-Saëns, le Quatuor avec piano op. 18 de Weber (muni lui aussi d’un mouvement lent plein d’imprévu, mais également d’un finale splendidement architecturé, faisant la part belle au violoncelle) et surtout le splendide Trio avec piano n° 2 de Mendelssohn, où semble passer, dans le premier mouvement, l’ombre du mouvement lent du Quintette de Schumann, et dont le scherzo fantastique et emporté fait partie de ces pages crépitantes dont l’auteur d’Elias a le secret.

Le 24 août, le piano Benjamin Grosvenor offrait un récital particulièrement copieux : le Vingtième Nocturne de Chopin suivi de la Sonate de Liszt, pour commencer. En 2019, Jean-Baptiste Fonlupt avait interprété dans le même lieu la même sonate, précédée de la Fantaisie op. 17 de Schumann, avec une aisance et un lyrisme éblouissants. Plus analytique, Benjamin Grosvenor cherche davantage l’architecture que le chant, mais il aborde ensuite Le Tombeau de Couperin de Ravel avec une belle liberté : la troublante Forlane, déhanchée, devient presque un morceau de jazz, cependant que la Toccata finale évoque Prokofiev. Les Jeux d’eau du même Ravel servent au pianiste de récréation (en toute simplicité !) avant qu’il achève son récital avec La Valse, tout autant ébouriffante (mais bien sûr différemment) dans sa version pour piano seul que dans sa version pour orchestre. Qu’ajouter devant une telle maîtrise alliée à une pareille générosité ?

La Damnation : un carnaval ?

Le 27 août, Sarah Nemtanu et Romain Descharmes illustraient le thème « Impressions d’enfance » : l’occasion pour la violoniste de rendre, avec autant de fraîcheur que d’aplomb rythmique et de finesse dans la sonorité, un coup de chapeau à George Enescu (1881-1955), compositeur roumain encore trop peu connu (on lui doit un Œdipe créé en 1936 au Palais Garnier). Sont invités à la fête Ysaÿe, Nino Rota, Bartók et Ravel (ah, le Blues de la Sonate pour violon et piano !), mais aussi l’inévitable et toujours étincelante Alouette de Grigoraș Dinicu, rendue célèbre autrefois par Yoska Nemeth.

On terminera par le spectacle intime imaginé par Céline Dupas-Hutin, qui dit avec fougue et concentration des extraits d’Histoire de ma vie de George Sand, et par la pianiste Christine Fonlupt, qui joue de nombreux extraits de Chopin (valses, études, préludes, etc.). Il ne s’agit pas d’un nouveau récital-lecture sur les amours tumultueuses du musicien et de l’écrivain, car la vie de George Sand ne se réduit évidemment pas à sa liaison avec Chopin, mais d’un portrait en musique de Sand, notamment de son enfance et de sa vocation littéraire. Chopin y est l’écho, celui qui va au-delà des mots.

Ajoutons qu’une exposition, comme chaque année, est organisée dans la maison natale de Berlioz devenue Musée Berlioz, en phase avec le thème du festival. Les mythes étant cette année à l’honneur, l’exposition célèbre Faust. Affiches, tableaux, programmes de salle, partitions, photographies : un parcours éclairant, avec cette phrase édifiante qu’on peut lire sur une affiche de La Damnation de Faust donnée en 1905 au Grand-Théâtre de Bordeaux : « L’ouvrage ne comportant pas d’ouverture, on jouera celle du Carnaval romain, de Hector Berlioz. » Il est vrai qu’il y a quelque chose d’un charivari dans la Damnation.

Illustration : Benjamin Grosvenor (photo Paul Allen)

Festival Berlioz, La Côte-Saint-André, du 20 août au 3 septembre 2023 (l’exposition se tient jusqu’au 31 décembre).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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