Critique – Opéra & Classique

L’Elixir d’Amour de Gaetano Donizetti

Bonheur et fraîcheur de fin d’été

L'Elixir d'Amour de Gaetano Donizetti

C’est avec une reprise de la mise en scène de 2006 de Laurent Pelly que l’Elixir d’Amour de Donizetti revient à l’Opéra de Paris. Grâce à une distribution de haut niveau, une mise en scène qui ne vieillit pas et un habile chemin de crête trouvé entre humour et sensibilité, on rit et on s’émeut à l’Opéra Bastille.

Il aura fallu quatorze jours à Donizetti pour composer son Elixir, pour marier en musique, humour et sentiments.

Les décors de Chantal Thomas plantent cet Elixir au lendemain des moissons, dans la campagne italienne des années 1960 en lieu et place de celle du Pays basque imaginée par le librettiste de Donizetti, Felice Romani. Laurent Pelly en fait une campagne intemporelle et universelle.

Une grande pyramide de bottes de foin, une trattoria au milieu de la place du village, une scène sur quelques tréteaux pour la fête du bourg : on sent presque, au milieu des rires du village, l’odeur des blés dorés fraîchement coupés. Le Docteur Dulcamara attire la foule, autant grâce à sa belle harangue et ses palabres enjôleurs, que par son camion-podium brinquebalant haut en couleur. Vespas, bicyclettes et tracteur complètent le tableau.

Les lumières de Joël Adam reproduisent le ballet du soleil et accompagnent les villageois du travail à la récréation, des champs au village. Laurent Pelly signe aussi les costumes : robes et tabliers de travail pour les dames, bottes, bleus, marcel et chemise pour les hommes ; Adina en robe à fleurs, Nemorino en t-shirt rayé blanc et vert.
L’ensemble signe une réussite déjà commentée sur notre site par Caroline Alexander. (voir WT 950 du 5 juin 2006).

La distribution, fraîche et enthousiasmante, de très haut niveau pour les deux rôles titres, n’omet aucun des visages de cet opéra.
Vittorio Grigolo chante et joue un Nemorino attachant, candide et battant à la fois. Dans une prestation généreuse et expressive de bout en bout, Vittorio Grigolo montre une aisance technique remarquable qui l’autorise à prendre des libertés bienvenues, à l’image d’un Una furtiva lagrima particulièrement touchant. Pour ce sommet d’émotion, le ténor étire le temps, use subtilement des nuances, joue de sa puissance, goûte son plaisir et le partage. L’énergie et la joie du ténor italien sont communicatives, jusqu’aux saluts où public et chanteur chavirent ensemble de bonheur.

Après des débuts salués et remarqués dans Les Huguenots le mois dernier (voir WT ), Lisette Oropesa confirme son talent en Adina et fait montre d’autant de facilité dans cet opera buffa que précédemment dans le drame. Sans entacher une prestation pleine d’assurance, de finesse et d’humour, la soprano semble parfois légèrement sur la retenue : fatigue légitime ou gestion de l’effort ? Quoi qu’il en soit, elle reste éblouissante et présente une ligne de chant à la fois délicate et percutante, avec des aigus soyeux, des vocalises délicatement disséquées, tel ce Prendi, per me sei libero tout de grâce. Le public parisien salue cette fois encore l’Américaine qui a décidément trouvé à Bastille une nouvelle maison.

Gabriele Viviani interprète un Docteur Ducalmara tout de fraîcheur et de drôlerie, mi-charlatan, mi-phénomène de foire. Loin de ne s’en tenir qu’au caractère burlesque et grivois du rôle, le jeune baryton italien livre une belle prestation vocale, avec un timbre profond et de jolies couleurs.
Le Sergent Belcore est chanté par un Etienne Dupuis au chant mûr et abouti. Séducteur et beau parleur, autoritaire et militaire, le personnage est parfaitement crédible. Adriana Gonzalez complète le remarquable plateau vocal avec une Giannetta cheffe de file des villageois, une prestation convaincante et maîtrisée.
Les chœurs soigneux et énergiques apportent corps et entrain. Leur rôle indéniable dans cet opéra est assumé avec beaucoup de professionnalisme sous l’œil de leur chef, Alessandro Di Stefano.

Dans la fosse, Giacomo Sagripanti dirige avec assurance. Si les premières minutes ont laissé craindre un peu de pesanteur voire de lourdeur, le chef italien amène rapidement l’orchestre de l’Opéra de Paris à hauteur du succès. Avec élégance et tact, il laisse toute sa place au plateau vocal, comme pour cet Una furtiva lagrima où la baguette semble avoir été confiée au ténor.

Réussite complète, prestation ovationnée par le public. Aura-t-elle aussi été au goût du nouveau ministre de la Culture Frank Riester, présent pour la première fois à l’Opéra Bastille ?

L’Elisir d’Amore de Gaetano Donizetti, livret de Felice Romano d’après Le Philtre d’Auber d’Eugène Scribe. Chœurs et orchestre de l’Opéra National de Paris, direction Giacomo Sagripanti, chef de chœurs Alessandro Di Stefano, mise en scène et costumes Laurent Pelly, décors Chantal Thomas, lumières Joël Adam. Avec Lisette Oropesa (puis Valentina Nafornita du 19 au 25 novembre), Vittorio Grigolo (Paolo Fanale le 10 novembre), Etienne Dupuis, Gabriele Viviani, Adriana Gonzalez.

Opéra Bastille, les 25 et 30 octobre 2018, 19h30 ; les 1er, 7, 10, 13, 16, 19, 22 novembre à 19h30, les 4 et 25 novembre à 14h30.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Guergana Diamanova

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Quentin Laurens

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