Tourcoing - Théâtre Municipal jusqu’au 20 mars 2009
L’ANIMA DEL FILOSOFO de Haydn
A-t-on oublié l’âme du XVIIIème siècle ?
- Publié par
- 17 mars 2009
- Critiques
- Opéra & Classique
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Depuis ses premiers éclats avec Paisiello (Théodore), ou (symbolique ?), tel insolent Opéra des Gueux (version Britten), on ne compte plus, depuis novembre 1981, les prospections, découvertes ou redécouvertes de l’Atelier Lyrique de Tourcoing ! Âme de l’entreprise, depuis sa fondation, Jean Claude Malgoire n’allait pas manquer de marquer le bicentenaire de la mort de Haydn par une intervention significative. C’est donc cette Anima del filosofo (titre sans concessions : il s’agit, en fait, d’Orphée et Eurydice) qui, en cette mi-mars, fonde l’événement à l’échelon national puisque l’œuvre n’ a jamais été “montée” en France.
Ecrite début 1791, au moment où Haydn va séjourner à Londres pour un an et demi, cette Anima del filosofo faisait partie, dès le départ, de ses missions en Angleterre. Quelle mission ? Ici les choses deviennent passionnantes. Admis en franc-maçonnerie (sous la pression de Mozart) depuis quelques mois seulement, Haydn est incité (au même moment que Mozart avec la Flûte Enchantée) à produire, sur scène, une véritable allégorie des idéaux nouveaux, deux ans après l’éclatement de la Révolution française.
Moins "féérique-et-populaire" que l’œuvre de Mozart, celle de Haydn va s’élaborer à partir d’un livret (en italien), très renouvelé par rapport au mythe, dû à un nommé Carlo Badini, naguère traducteur des Pensées de Pascal. Apparait ici Créonte, père d’Eurydice, qui, ayant promis sa fille selon les routines sociales, sera source de bien des malheurs et viendra méditer, devant nous, sur l’erreur, la liberté et l’amour.
Orphée, par l’ampleur de son âme, vainct ces adhérences à la tradition et pourra épouser Eurydice. Bien sûr, le fiancé évincé se venge : serpent, mort d’Eurydice, désespoir d’Orphée envahi par le doute, mais une envoyée de la Sibylle lui promet que (s’il est courageux, résolu et perméable aux élans de la pensée nouvelle) Eurydice sera de nouveau près de lui...
On sait la suite mais, contre toute attente, alors que la Révolution française commence à s’égarer, l’opéra de Haydn, aux antipodes de l’optimisme affiché par la Flûte, aboutit abruptement à une catastrophe : le poète succombe aux forces du mal tandis qu’un véritable tsunami anéantit les pays civilisés (terrible ballet final qui, par sa violence, renchérit sur le “tremblement de terre” conclusif des Sept paroles du Christ).
C’est que, malgré les Droits de l’Homme et les Illusions entretenues autour de l’Être Suprême, Paris, capitale des “Lumières”, évolue vers les Massacres de Septembre, la Mort de Louis XVI puis la Terreur. L’avertissement haydnien est si violent que l’œuvre ne fut pas jouée, survécut tant bien que mal par des copies, en pièces détachées, dispersées dans toute l’Europe.
C’ est H.C. Robbins Landon qui, une fois de plus, a reconstitué ce dernier opéra de Haydn, évidemment le plus significatif... La première représentation en eut lieu au Mai Florentin, en 1951, avec Maria Callas (!). Depuis, il n’y eut que Harnoncourt pour s’y attacher, lequel, craignant un tempo général évidemment assez solennel, n’a pas hésité à écourter tout ce qui lui paraissait long.
Une mise en scène inspirée et expressive
L’Atelier Lyrique de Tourcoing s’ est donné les moyens de jouer le jeu plus loyalement : l’œuvre est intacte, in extenso, servie par une mise en scène inspirée, expressive, belle et qui sait prendre ses risques : si Orphée, chantre de la Thrace, s’affirme (vu son gabarit) avec les gestes d’un catcheur montant sur le ring, cette puissance physique affrontera un cénâcle qui évoque l’Ecole d’Athènes avant de croiser les ombres désolées qui, au Tartare, nous affrontent aux déments filmés par Depardon...
Un immense cercle cosmique, tour à tour lumineux, blafard, stellaire, finira par évoquer l’indifférence du Cosmos... on pense à la fameuse voûte étoilée sous laquelle Schinkel avait fait chanter la Reine de la Nuit. C’est simple, beau, mythique à souhait : il faut en remercier le metteur en scène Alita Baldi, la pureté du décor de William Orlandi, la qualité des lumières de Roberto Venturi.
On connait Malgoire, son goût des couleurs (la harpe d’Orphée !), son sens dramatique. Le plus beau est l’autorité du plateau de chanteurs : l’impressionnant Orphée de Joseph Cornwell, l’Eurydice (si diverse et donc si vivante) de Hjördis Thébault, le Créonte (aussi peu “Sarastro” que possible, et c’est tant mieux) de Pierre Yves Pruvost... On imagine le succès que s’est taillé Isabelle Poulenard dans le rôle impératif et ravageur du Génie envoyé par la Sibylle...
Une œuvre qui fait opportunément éclater l’idée que des idiots répandent encore de “Papa Haydn” (écoutez France-musique !), portée vers nous par un spectacle magnifique. Il faut bien qu’il y ait une ombre au tableau : cette révélation ne se joue que trois fois (15, 17 et 20 mars)...Peut-on imaginer que d’ autres scènes françaises accueillent ce travail exemplaire ?
Théâtre Municipal de Tourcoing les 15, 17 et 20 mars 2009 à 20h
Renseignements et réservations : 03 20 70 66 66
www.atelierlyriquedetourcoing.fr
Crédit photos : © Danielle Pierre