Karamazov d’après Fédor Dostoïevski

Aliocha, Dimitri, Ivan et les autres

Karamazov d'après Fédor Dostoïevski

Après Rabelais et Victor Hugo, Jean Bellorini, le tout jeune directeur du Théâtre Gérard Philipe, s’attaque à Dostoïevski et son monumental roman Les Frères Karamazov. Entreprise titanesque s’il en fut dont le metteur en scène ne se sort pas si mal. C’est une lecture du chapitre du Grand inquisiteur faite par Patrice Chéreau en 2008 qui l’a incité à s’intéresser à cette œuvre. Il a conçu un spectacle de 5h (entracte non compris), qui recompose le récit assez habilement, faisant la part belle à des monologues chargés de certains récits (Le Grand inquisiteur, le procès de Dimitri, le frère aîné accusé de parricide, le récit des pierres jetées par l’enfant Ilioucha sur Aliocha), parenthèses qui renseignent sur le cours de l’histoire, ménagent une pause. Tout à coup conteur, le comédien chargé du récit suspend le récit théâtral. C’est plutôt bien fait et cela permet des raccourcis utiles.

L’adaptation de Bellorini et Camille de la Guillonnière est dans le droit fil du texte, organisée autour des questions de Dieu, du Bien et du Mal mais aussi des rapports humains, tout en s’autorisant des libertés. Ils ont dompté habilement les mille fils qui s’entremêlent autour de l’histoire d’Aliocha, revendiqué par l’auteur comme le personnage principal. Aliocha c’est le cadet des frères, le mystique, celui qui va inlassablement de l’un à l’autre pour apaiser les conflits et reçoit toutes les confessions de plein fouet. François Deblock, filiforme, visage émacié, cheveux hyper-oxygénés, vêtu d’une longue redingote rouge sur sa peau nue, offre une surprenante silhouette christique quelque peu punky. La nature d’Aliocha contraste avec l’exubérance du costume (Macha Makaïef) sans pour autant tomber dans la caricature de l’homme de foi. Le jeune homme a quitté la sérénité du monastère où son maître se meurt pour tomber dans la marmite bouillonnante des conflits familiaux. Il a fort à faire avec ses frères : Dimitri (Jean-Christophe Folly), fier et impétueux, sera accusé du meurtre du père, Ivan (Geoffroy Rondeau), l’intello athée torturé par la question de Dieu et obsédé par le problème de la souffrance des enfants, thématique très présente dans le roman abordé ici à travers le jeune Ilioucha qui mourra et dont le père (Mathieu Delmonté) a subi les insultes de Dimitri. Et puis il y a le quatrième, Smerdiakov (Marc Plas), le fils bâtard rejeté qui tuera le père. Et enfin le père, grossier personnage, vulgaire, à l’intérieur comme à l’extérieur (Jacques Hadjaje). Les femmes sont toutes souffrantes à un degré ou un autre.
La scénographie conçue par Bellorini semble ignorer l’espace majestueux de la carrière de Boulbon ; il a collé contre le mur du fond une maison façon datcha (une rare référence à la russéité du texte, avec les bottes portées par les hommes, une rare fourrure…) qui abrite les musiciens très présents et un salon. Devant, des rails sur lesquels circulent décors et personnages en scène comme pour une prise cinématographique (souvenir du procédé utilisé par Ariane Mnouchkine et plus récemment par Joël Pommerat), dans une cage de verre, les protagonistes étouffent les uns sur les autres. Certaines scènes sont jouées sur le toit de la maison, sous le toit de la voûte céleste, une tentative d’élévation vouée à l’échec.

Sans aucun doute, il y a là matière à un grand spectacle populaire mais il y faudra des ajustements, régler en particulier les volumes des voix et des instruments qui luttent souvent. Et puis on dirait que le souci de transmission du texte et le refus, compréhensible, d’éviter les clichés de l’âme russe ait quelque peu gelé les intuitions du metteur en scène qui d’un côté n’a pas osé libérer les ressorts profonds du texte et de l’autre cède à quelques facilités. Il manque un vertige intérieur plus en sourdine. On voudrait ressentir de l’empathie pour ces êtres en détresse.

Karamazov d’après Fédor Dostoïevski, traduction André Markowicz, adaptation Jean Bellorini et Camille de La Guillonnière, mise en scène , scénographie et lumières, Jean Bellorini. Costumes,a ccessoires, Macha Makaïev ; création musicale, Jean Bellorini, Michalis Boliakos, Hugo Sablic. Avec François Deblock, Mathieu delmonté, Karyll Elgrichi, Jean-Christophe Folly, Jules Garreau, Jacques Hadjaje, Camille de La Guillonnière, Blanche Leleu, Clara Mayer, Teddy Melis, Marc Plas, Geoffroy Rondeau, et en alternance Raphaël Bredèche et Lévie Davêque, et les musiciens, Michalis Boliakis (piano), Hugo Sablic (batterie, Starets Zossima). Au TGP, lundi jeudi,, vendredi à 19h jusqu’au 9 janvier. Durée : 5h30 (entracte compris).

Photos Christophe Raynaud de Lage
Tournée

2-3 février 2017, Bayonne, scène nationale du Sud-Aquitain
8-10 février 2017, Nice, CDN
17-18 février 2017, Brive, Les Treize Arches
23-25 février 2017, Créteil, Maison des arts André Malraux
28 février-4 mars 2017, Antony, Théâtre Firmin Gémier/La Piscine
8-9 mars 2017, La Roche-sur-Yon, Grand R
14-15 mars 2017, Amiens, Maison de la culture
30 mars-2 avril/4-7 avril 2017, Lyon, Théâtre des Célestins
20-21 avril 2017, Montpellier, Domaine d’O
27-28 avril 2017, Sète, scène nationale
12 mai 2017 Compiègne, Espace Jean Legendre
19-20 mai 2017, Clermont-Ferrand, scène nationale

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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