La Petite renarde rusée de Leoš Janáček à l’Opéra Bastille jusqu’au 1er février

Janáček ou l’esprit d’enfance

Une mise en scène vue et revue, qui conserve tout son charme au fil des années.

 Janáček ou l'esprit d'enfance

MAINTES FOIS REPRISE, la production de La Petite Renarde rusée de Leoš Janáček dans la mise en scène d’André Engel (dont le nom, étrangement, n’apparaît plus dans les éléments de communication de l’Opéra Bastille...) revit encore une fois dans tout son éclat. L’alliage d’imagerie enfantine et de réflexion philosophique qui fonde l’œuvre et qui émeut si fortement dans la musique de Janáček se voit richement relayé par une conception scénique très inspirée. La naïveté apparente du scénario, sa fraîcheur de ton laissent entrevoir, dans des séquences admirables, toute la profondeur d’âme d’un vieil artiste (Janáček compose cet opéra à près de soixante-dix ans, quelques années avant sa mort), méditant avec émerveillement et nostalgie sur la beauté de la nature, mais aussi celle de la vie humaine.

Et la mise en scène reprend ce double fil en entrant avec délectation dans la simplicité directe d’un système de représentation destiné en apparence aux enfants, du moins dans la première scène de l’opéra. Moustique armé d’une énorme seringue, grenouille en ciré vert, blaireau fumant la pipe, ballet de libellules bleues : tout cela qui mélange habilement les éléments du livret original du compositeur (inspiré d’un roman de Rudolf Těsnohlídek, Liška Bystrouška, adapté en bande dessinée par Stanislav Lolek, parue en feuilleton) et l’imaginaire d’André Engel et de ses collaborateurs historiques (André Diot aux lumières, Nicki Rieti au décor, Élisabeth Neumuller aux costumes, Françoise Grès à la chorégraphie) fait mouche aussi fortement à chaque fois que l’on revoit cette production. Et ce n’est pas la moindre de ses qualités que de parvenir à renouveler ainsi, chez le spectateur, son pouvoir d’enchantement. La scène du poulailler, avec ses bavardes écoutant docilement la Renarde dans son grand discours d’inspiration marxiste (« Le coq vous exploite, libérez-vous mes sœurs de votre servitude ! ») est toujours aussi hilarante et les costumes fuchsia de ces commères, la chorégraphie divertissante qu’a imaginée pour elles Françoise Grès enchantent l’enfant comme l’adulte... Un décor tout de simplicité – champ de tournesols bordé d’une voie de chemin de fer et son remblai, où évoluent selon les scènes, humains et animaux, permet de varier les apparitions des personnages et d’ajouter aussi, en une très belle image, un cerf silencieux et majestueux (qui n’existe pas dans le livret original), apparaissant mystérieusement au gré de telle ou telle scène et qui semble figurer toute la sagesse du monde...

La gestuelle d’une danseuse

Le jeu et le chant d’Elena Tsallagova dans le rôle-titre, qui avait conquis son public dans ce même rôle en 2008, à Bastille déjà et dans la même mise en scène, et qui l’avait repris dans une autre mise en scène au Théâtre des Champs-Élysées en 2021, n’a pas pris une ride depuis la création de cette production il y a... dix-sept ans ! La chanteuse d’origine russe, formée à l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris (ancien nom de l’actuelle Académie) y est toujours aussi grâcieuse, piquante, spirituelle, agile et surtout bouleversante d’émotion dans ce rôle qui lui va comme un gant. Sa gestuelle qui est presque celle d’une danseuse, son charme et son intelligence musicale forment réellement le sommet de ce spectacle.

À ses côtés, un Garde-chasse de très haute qualité, en la personne de Milan Siljanov, qui fait là ses débuts à l’Opéra national de Paris et dont la voix chaleureuse et le timbre rond sont de toute beauté, l’artiste parcourant avec une maîtrise confondante tout le spectre des émotions et des caractères du personnage : bonhommie, humour, nostalgie, sagesse, sensualité, goût de vivre et acceptation paisible de la vieillesse advenue, à la fin de l’opéra. On a pu également être conquis par Paula Murrihy qui interprète avec un charme extrême le personnage du Renard, ainsi que par Frédéric Caton dans celui du Prêtre, Éric Huchet celui de l’Instituteur, Maria Warenberg (membre de la Troupe de l’Opéra national de Paris) celui du Chien, Se-Jin Hwang celui de l’Aubergiste et Slawomir Szychowiak celui du Blaireau (ces derniers sont tous deux membres des Chœurs de cette maison). Un excellent chœur d’enfants, celui de l’Orchestre Philharmonique de Prague permet de savourer dans toute leur ampleur les scènes où apparaissent insectes, petits animaux de la forêt, troupe de renardeaux enfantés par la Renarde et son amoureux devenu son époux, le Renard (délicieuse cérémonie des noces imaginée par le metteur en scène et ses collaborateurs)...

La direction musicale enthousiasmante et subtile, idéale pour la musique de Janáček, est assurée par le chef slovaque Juraj Valčuha, qui fait là également ses débuts à l’Opéra national de Paris – nous espérons l’y entendre souvent... !

Photo : Vincent Pontet (Opéra national de Paris)

Leoš Janáček : La Petite Renarde rusée. Elena Tsallagova (la Renarde), Milan Siljanov (le Garde-Chasse), Paula Murrihy (le Renard), Maria Warenberg (le Chien), Se-Jin Hwang (l’Aubergiste), Anne-Sophie Ducret (la Femme de l’Aubergiste), Marie Gautrot (la Femme du Garde-Chasse, la Chouette), Éric Huchet (l’Instituteur, le Moustique), Frédéric Caton (le Prêtre), Tadeáš Hoza (le Vagabond). Nicki Rieti (décors), Élisabeth Neumuller (costumes), André Diot (lumières), Françoise Grès (chorégraphie), Chœur d’enfants de l’Orchestre philharmonique de Prague, Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, direction : Juraj Valčuha. Opéra national de Paris, 19 janvier 2025.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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