Don Giovanni de Mozart au Théâtre de l’Athénée, Paris

Irrésistible Don Giovanni

L’opéra de Mozart prend des couleurs et une fraîcheur nouvelles dans un spectacle très abouti musicalement et scéniquement, produit par la compagnie nationale Arcal.

Irrésistible Don Giovanni

On doit le dire d’entrée, le Don Giovanni monté au théâtre de l’Athénée par l’Arcal, compagnie nationale de théâtre lyrique, est un des meilleurs que l’on ait jamais vus et entendus. Et pourtant on en a vu, sur les scènes lyriques les plus grandes et même au cinéma ! Mais jamais on n’y a senti telle énergie ni telle vivacité dans la conduite des aventures du séducteur de Séville, contées par le Vénitien Da Ponte et exacerbées par la musique de Mozart dans son opéra le plus fameux, créé à Prague en 1787.

Non que la compagnie dispose de moyens importants, au contraire. Mais de cette économie les maîtres d’œuvre tirent le meilleur parti. Et cassent ainsi la part intimidante inhérente au genre. Les artistes, aussi bons chanteurs que comédiens, qui ont le physique et l’âge de leur rôle (moins de 30 ans), se dépensent sans compter dans ce spectacle très abouti qui tient en haleine tout au long des trois heures dix (entracte compris).

La tension et l’attention ne faiblissent pas, même dans le second acte où s’enchaînent les morceaux de bravoure des uns et des autres. Il est vrai que l’une dépend de l’autre dans ce dramma giocoso (« drame joyeux ») qui mélange les genres : comique, pathétique, tragique, surnaturel… Sur scène, des mots et des airs d’une infinie complexité, mille fois entendus, prennent soudain une nouvelle résonance. Pris au pied de la lettre, on y aperçoit mille nuances qu’on n’avait jusque-là pas saisies. De même, on perçoit des personnages ambivalents, jamais taillés d’une seule pièce.

Les griffes de l’aventurier

Le metteur en scène, qui connaît bien l’œuvre pour l’avoir déjà montée il y une dizaine d’années, admet que Don Giovanni serait aujourd’hui poursuivi pour harcèlement, voire agression sexuelle. Prédateur incontestablement mais pas que, il se montre en personnage nuancé, joueur invétéré, bon vivant, regrettant ses actes à peine commis mais ne pouvant s’empêcher de les commettre ni de résister à la tentation. Comme le meurtre du Commandeur surgi dès la première scène pour tirer sa fille, Donna Anna, des griffes du séducteur. Ce crime, il le paiera au final au prix fort. Mais entretemps, flanqué de son valet Leporello, il aura joui à plein de la vie et vécu mille aventures que les spectateurs suivent passionnément, tour à tour riant de leurs stratagèmes, ou compatissant à la douleur de leurs victimes.

Avec des partis pris assez radicaux, le chef d’orchestre Julien Chauvin et le metteur en scène Jean-Yves Ruf fonctionnent manifestement en symbiose. La scénographie est réduite à sa plus simple expression. Une passerelle surplombant la scène exiguë de l’Athénée tient lieu de décor, desservie par un escalier auquel seuls les nobles ont accès tandis que la piétaille reste cantonnée sur le plateau. Lequel plateau est occupé par les trente-six musiciens du Concert de la Loge regroupés par familles d’instruments. Le chef est lui-même à la manœuvre, dirigeant son ensemble sur instruments d’époque, tout en jouant de son violon, comme cela se faisait à l’époque de Mozart. Des couloirs de circulation entre les groupes de musiciens permettent aux chanteurs/acteurs et au chœur réduit à quatre interprètes de se glisser, de se cacher, de se poursuivre ou de s’éviter au gré de l’action fertile en rencontres et rebondissements.

Lamento déchirant

Les scènes empreintes de gravité alternent avec d’autres d’un comique irrésistible. Comme lorsqu’au second acte Don Giovanni manipule Leporello telle une marionnette en lui ordonnant de se faire passer pour lui afin d’échapper aux ardeurs de Donna Elvira qu’il a plaquée. Celle-ci n’arrive pas à se défaire de son emprise et l’exprime dans son lamento déchirant « Mi tradì quell’alma ingrata ». Bouleversante également, la scène où Masetto ne se tient plus de joie retrouvant sa promise Zerlina, la petite paysanne qui se laisse séduire par Don Giovanni le jour même de ses noces.

Au finale, on ne retrouve pas le lieto fine, le dénouement joyeux qui généralement clôt le spectacle. C’est que ce happy end, sur lequel disputent encore les spécialistes, où tous les protagonistes se rassemblent pour se réjouir de la disparition du libertin, aurait été ajouté par Mozart pour complaire à la cour de Vienne en 1788 (un an après la création donc). On en reste ainsi sur cette vision d’un Don Giovanni droit dans ses bottes jusqu’au bout. Non seulement il refuse de se repentir comme le lui demande la statue du Commandeur revenu sur terre pour le punir mais persiste et signe en le traitant de « vieil infatué ».

On pourrait regretter que le baryton Timothée Varon qui joue Don Giovanni n’ait pas dans la voix tout le soyeux ni la souplesse du séducteur idéal. Mais le défaut est largement compensé par une présence, un allant et une puissance de projection indéfectibles. Dans son sillage, le baryton-basse Adrien Fournaison, véritable clown, se révèle un Leporello hilarant avec ses airs de ne pas y toucher. Pour leur part, les trois sopranos victimes du séducteur rivalisent de brio, de justesse et d’incarnation théâtrale : Marianne Croux, Donna Anna impériale, Margaux Poguet, Donna Elvira bouleversante, et Michèle Bréant, Zerlina mutine et touchante.

Du côté masculin, le ténor Abel Zamora campe un Don Ottavio (fiancé de Donna Anna) plein de charme, et la basse Mathieu Gourlet un Masetto au grand cœur. Enfin, la basse Nathanaël Tavernier incarne un Commandeur véritablement terrifiant.

Photo Simon Gosselin

Mozart : Don Giovanni, au Théâtre de l’Athénée jusqu’au 23 novembre (https://www.athenee-theatre.com).
Avec : Timothée Varon, Margaux Poguet, Marianne Croux, Abel Zamora, Adrien Fournaison, Michèle Bréant, Mathieu Gourlet. Mise en scène : Jean-Yves Ruf ; scénographie : Laure Pichat ; lumières : Victor Egéa ; costumes : Claudia Jenatsch ; collaboration artistique : Julien Girardet. Le Concert de la Loge, dir. Julien Chauvin.
Tournée : du 13 au 16 décembre à l’Opéra de Massy.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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