Bruxelles – La Monnaie jusqu’au 6 juillet 2012

Il Trovatore de Giuseppe Verdi

Mémoire fiévreuse et flash back incandescents : le Trouvère est mis sur le divan.

Il Trovatore de Giuseppe Verdi

A la Monnaie de Bruxelles, le plus complexe des opéras de Verdi est mis sur le divan par le metteur en scène russe Dimitri Tcherniakov. A 40 ans, vedette étoilée dans son pays et, depuis une dizaine d’années mis sur orbite pour une renommée internationale, il n’avait pas encore apposé sa signature à une production de la maison bruxelloise. C’est chose faite avec ce Trouvère converti à sa façon de mettre au quotidien d’aujourd’hui les drames d’autrefois sans en dénaturer le sens et la puissance.

Œuvre de maturité d’un Verdi de 40 ans, Il Trovatore, qui s’intercale entre Rigoletto et La Traviata, constitue un sommet d’inventivité musicale avec des arias qui aussitôt émises s’impriment dans la mémoire. On les entend souvent, on les voit peu. A Bruxelles ce Trouvère n’avait plus été programmé depuis plus de 20 ans. En cause probable : le livret mélo- rocambolesque que Salvatore Cammarano et Emanuele Bardare ont tiré du drame éponyme de l’Espagnol Antonio Garcia Gutiérrez, une histoire embrouillée de gitane sorcière, de bûchers, d’amour fou, de jalousie meurtrière, de vengeance et de mort difficile à mettre en scène.

Subconscients contrariés

Pour Tcherniakov un tel fouillis est l’occasion rêvée de procéder à une sorte de nettoyage sur la forme sans toucher au fond, ni à la musique. Les subconscients contrariés d’Azucena, la gitane qui a juré de venger la mort de sa mère, de Manrico son fils épris de Leonora tout comme son rival le comte de Luna vont révéler les secrets de leurs destins, les non-dits de leur mémoire. Azucena les a convoqués pour un jeu de rôles dans lequel ils trouveront les clés de leur inconscient. Jusqu’à qu’ils s’y fondent et y implosent. Sartre et Strindberg se profilent dans l’ombre de leur huis clos.

On avait découvert Tcherniakov à Paris par son extraordinaire mise en abyme d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski puis par un très singulier Macbeth de Verdi (voir WT des 8 septembre 2008 et 9 avril 2009). Comme pour Onéguine, il opte pour un lieu unique dont il a lui-même conçu la scénographie : le rez-de-chaussée d’une villa à l’abandon, murs pourpres, baies encadrées de noir, quelques chaises baladeuses et un divan… Il y convoque les principaux protagonistes de la tragédie : cinq personnages en quête d’identité y révèlent la violence mortifère de leurs passions. Exit les rôles secondaires d’Inès, Ruiz, Zingaro et du messager, les textes de leurs interventions sont adroitement redistribués pour le quintet en scène. Des déguisements, perruques et lunettes noires peu à peu tombent jusqu’au moment de vérité où le passé renoue avec le présent, où la violence évoquée devient réelle et clôt l’histoire telle que Verdi et ses librettistes l’avaient voulue.

Lyrisme féroce

Marc Minkowski revient à la Monnaie où il avait, l’année dernière, si brillamment dirigé Les Huguenots de Meyerbeer pour s’attaquer au premier Verdi de sa carrière et porte avec vigueur l’orchestre maison dans les eaux tourmentées d’une musique au lyrisme féroce. Un lyrisme que l’on retrouve chez les interprètes qui jouent à vif autant qu’ils chantent leurs rôles grâce à une direction d’acteur d’une rigueur hors norme. Cynique jusqu’au délire, le baryton texan Scott Hendricks incarne un Luna nocturne, Marina Poplavskaya, soprano russe vocalise avec vaillance (et quelques faiblesses) les arias d’une Leonora piégée, en Manrico fringué rock star le ténor ukrainien Misha Didyk, point faible de la distribution, émet des aigus coupant comme des lames. Ferrando se sacrifie par le toujours vaillant Giovanni Furlanetto. Vedette incontestable de la soirée, Sylvie Brunet, française venue de Sicile, impose une Azucena au jeu troublant et au timbre somptueux.

Les chœurs invisibles sont placés dans la fosse et témoignent d’une présence quasi hallucinée. Un sur-titrage habile sert de mode d’emploi à la transposition. L’ensemble signe une production qui fera date.

Il Trovatore de Giuseppe Verdi, livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare. Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, direction Marc Minkowski, chef des chœurs Martino Faggiani, mise en scène et décors Dimitri Tcherniakov, costumes Elena Zaystseva et Dimitri Tcherniakov, lumières Gleb Filshtinsky. Avec Scott Hendricks (en alternance avec Dimitris Tiliakos*), Misha Didyk, Sylvie Brunet, Marina Poplavskaya, Giovanni Furlanetto.

Bruxelles, la Monnaie, les 12, 15, 19, 22, 26, 29* juin, 4* & 6* juillet à 20h, les 10, 24 juin & 1er juillet* à 15h.

+32 (0)70 233 939 – www.lamonnaie.be

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A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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