Harvey de Mary Chase

Mon meilleur ami

Harvey de Mary Chase

Il semblerait que le lapin pressé d’Alice ait de la famille. Harvey est un lapin blanc géant de près de 2 mètres. Il aura probablement fugué du pays des Merveilles par une porte dérobée pour s’inviter dans la pièce de la dramaturge américaine Mary Chase en 1944. Harvey a immédiatement remporté un grand succès au point que la pièce resta à l’affiche à New York jusqu’en 1949, avec près de 2000 représentations. La pièce a donné lieu à un film avec James Stewart dans le rôle principal (1950). Et on ne nous avait rien dit. Il aura fallu que Laurent Pelly voit ce film, s’intéresse à la pièce et la mette en scène dans une traduction d’Agathe Mélinand (elle n’avait jamais été traduite). Tel un chercheur d’or Pelly a découvert une pépite, une comédie sociale follement loufoque qui pointe du doigt nos préjugés entre deux éclats de rire et quelques invraisemblances délicieuses.
Non seulement Harvey, le lapin géant, est l’ami d’un brave garçon, Elwood P. Dowd, mais c’est un ami invisible, comme les enfants en ont. Harvey serait un pooka, une créature de la mythologie celte. Entretenir une relation amicale avec un pooka est une fantaisie qui ne fait de mal à personne, au pire on pourrait dire qu’Elwood a un grain, mais ce grain-là perturbe les rouages de la bonne société bourgeoise régie par des principes qui ne sauraient tolérer le moindre écart. En conséquence de quoi, sa sœur Vita (Christine Brücher) et sa nièce Clémentine (Agathe L’Huillier) décident de le faire interner. L’univers psychiatrique, décrit comme un monde coercitif violent, en prend aussi pour son grade sous la plume vive de l’auteur. La sœur et le psychiatre (Pierre Aussedat) finiront par voir des lapins partout. Et ce sera un chauffeur de taxi (Kevin Sinesi), un homme du peuple plein de bon sens, qui ouvrira les yeux de Vita sur les dangers des préjugés appliqués aveuglement, sur les vertus d’une douce folie qui s’apparente à la poésie, au regard qu’on porte sur le monde. Elwood déclare avec satisfaction : « je me suis battu contre la réalité toute ma vie, docteur, et je suis heureux de l’avoir enfin emporté ». Tranquillement perché, il est complètement étanche au désordre et à l’agitation qu’il provoque, mais sous ses airs de Pierrot lunaire, on comprend vite que qu’il est un homme seul qui trouve réconfort dans l’alcool et auprès de son ami invisible. Jacques Gamblin est si convaincant qu’on voit avec ses yeux le lapin géant, cher Harvey. Faire exister un personnage invisible est un exercice délicat de funambule. Son interprétation évoque les figures burlesques de Charlie Chaplin ou Buster Keaton, personnages poétiques, solitaires, étrangers aux désastres qu’ils produisent.
La pièce est un bijou d’intelligence qui regorge de réparties vives et colorées, teintées du non-sens des Marx brothers. La scénographie de Chantal Thomas suggère un monde bourgeois à la fois figé et déstructuré avec des modules mobiles qui agrègent des éléments de décoration intérieure, des escaliers dont on ne sait pas où ils mènent et qui laissent penser que là-haut il se passe de drôles de choses. Le mobilier et les beaux costumes (Laurent Pelly) plantent à merveille le décor années 50 aux États-Unis. La mise en scène de Laurent Pelly exhausse admirablement les qualités du texte qui fait de l’humour une arme critique aiguisée. On est vraiment content d’avoir enfin fait la connaissance d’Harvey, un ami qui fait des merveilles.

Harvey de Mary Chase. Traduction Agathe Mélinand. Mise en scène et costumes, Laurent Pelly. Avec Jacques Gamblin, Pierre Aussedat, Christine Brücher ou Charlotte Clamens, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Grégoire Faive, Katell Jan, Agathe L’Huillier, Lydie Pruvot, Kevin Sinesi. Scénographie, Chantal Thomas. Lumières, Joël Adam ; Son, Aline Loustalot. Paris, Théâtre du Rond-point jusqu’au 8 octobre à 20h30. Durée : 1h30.
photo PoloGarat

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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