Toulouse - Théâtre du Capitole - jusqu’au 15 mars 2009

HIPPOLYTE ET ARICIE de Jean-Philippe Rameau

Rien n’est trop beau pour Rameau : superbe résurrection d’un chef d’oeuvre

HIPPOLYTE ET ARICIE de Jean-Philippe Rameau

Une perle du répertoire lyrique français vient de trouver à Toulouse un écrin idéal. Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau y revit dans les fastes et les rituels qui sans doute l’ornaient lors de sa création. Maîtres d’oeuvre de ce somptueux retour aux sources, une équipe de baroqueux fervents qui aime et qui connaissent de A à Z les codes, les clés, les mystères de son langage et de sa musique : Emmanuel Haïm et son Concert d’Astrée, le décorateur Antoine Fontaine, l’inventeur des costumes Jean-Daniel Vuillermoz, et, nouveau venu dans l’univers de la mise en scène, le musicologue Ivan Alexandre. Une musique qui perle aux oreilles, des images d’un raffinement princier, des interprètes qui se coulent dans les modes et les rites comme si ils les avaient inventés.

Rameau était déjà quinquagénaire, à la mi-temps d’une carrière qui jusqu’alors lui valut plus de respect que de prospérité – son traité d’harmonie lui valut une réputation de savant -, quand il se lança pour la première fois dans l’écriture d’un opéra. Ce fut Hippolyte et Aricie, un succès qui le propulsa aussitôt dans les limbes des célébrités et lui donna des ailes pour une série d’œuvres lyriques qui n’en finissent pas de nous enchanter, des Paladins aux Boréades en passant par les Indes Galantes. « Dans un seul ouvrage il compose assez de musique pour en faire dix » disait de lui son aîné et admirateur, André Campra.

Ivan Alxandre, archéologue amoureux des traditions

C’est donc à une sorte de reconstitution que l’on assiste même si son réalisateur en réfute le mot, une ballade stylisée dans le temps et les rituels des représentations d’antan. Ivan Alexandre n’est ni le premier ni le seul à remonter ainsi la marche des siècles. Le jeune Benjamin Lazar en a fait son cheval de bataille (voir webthea des 26 novembre 2007 et 25 janvier 2008) mais Alexandre ne lui emboîte pas vraiment le pas : chez lui pas d’éclairage à la bougie, pas de diction affectée de « e » muets sonnant ou de « s » sifflants. Les lumières, très belles, se contentent d’être rasantes « à la manière de » et le parler des chanteurs cherchent avant tout à être clair. Journaliste et critique au Nouvel Observateur et pour la revue Diapason et par conséquent observateur privilégié des modes de la scène, il ne la pratique pas à la manière des Strehler, Chéreau ou Brook, grands manipulateurs d’âmes. Chez lui c’est l’historien qui semble s’exprimer, l’archéologue amoureux des traditions qui rêve un monde à la fois révolu et idéalisé.

Rien n’est trop beau pour Rameau

Le raffinement des décors d’Antoine Fontaine, la splendeur des costumes de Jean-Daniel Vuillermoz lui font écho : une profusion de toiles peintes descend des cintres, surgit des sols, glissent des coulisses à l’horizontale entre cour et jardin et s’ouvrent sur des perspectives qui évoquent à la fois Watteau et les forêts du Douanier Rousseau. Neptune assis sur son aigle dévale du ciel sur un lit de nuages qui font le gros dos, Diane dégringole de l’Olympe arrimée à un quartier de lune, Mercure plane dans les airs et Pluton apparaît dans sa suite infernale avec les trois Parques messagères attelées la tête en bas ! Soies, velours, brocarts, satin, organdis, broderies, drapés, plissés, corolles, rien ne manque aux costumes ni à leurs accessoires jusqu’au moindre bouton sur les bottes. De même pour les maquillages qui sculptent, ombrent ou ravivent les visages. Rien n’est trop pour Rameau.

Les ballets de la compagnie Les Cavatines chorégraphiés par Natalie van Parys maîtrisent avec grâce toute la gestique baroque. Tout comme les chœurs du Concert d’Astrée, tout comme les solistes dans leurs poses codées. Ils chantent debout face au public dans des attitudes figées et pourtant l’émotion passe dans ce combat des dieux et des hommes où Phèdre paie de sa vie l’amour fou qu’elle cultive pour Hippolyte, le fils de Thésée, son mari parti à la guerre et déclaré mort.… Euripide, Sénèque puisèrent dans sa passion criminelle et surtout Racine qui fut le principal inspirateur de Rameau et de l’abbé Pellegrin, son librettiste.

Jaël Azzerati, "Amour" délicieusement coquin

Allyson McHardy, mezzo soprano née aux Etats-Unis est cette Phèdre de fureur et de douleur, magnifique découverte, actrice accomplie, diction impeccable et superbe phrasé. Stéphane Degout, si jeune fait croire à son Thésée guerrier éperdu, les graves cuivrés, la projection nette, la diction lumineuse, il est une fois de plus exceptionnel. En Aricie, la liégeoise Anne-Catherine Gillet, souvent entendue et acclamée au Capitole où elle chanta Wagner, Mozart, Offenbach, se coule avec charme dans le style ramiste. La jolie surprise de la soirée vient de l’Amour dont Jaël Azzerati compose un délicieux personnage, coquin, vif argent au timbre de rossignol. Elle le chante si bien qu’on lui a attribué quelques airs en suppléments piqués à des personnages secondaires. On en redemanderait…

Emmanuelle Haïm dirige avec flamme les chanteurs et ses compagnons du Concert d’Astrée qui parent le riche tissus musical de Rameau dune subtile élégance. Le continuo velouté du violoncelliste Paul Carlioz, le cor de Claude Maury, les musettes, les danses des flûtes traversières achèvent le bonheur de cette réussite.

Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau, livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin. Orchestre et chœur du Concert d’Astrée, direction Emmanuelle Haïm, danseurs et danseuses de la compagnie Les Cavatines, chorégraphie de Natalie van Parys, mise en scène Ivan Alexandre, décors Antoine Fontaine, costumes Jean-Daniel Vuillermoz, lumières Hervé Gary. Avec Stéphane Degout, Anne-Catherine Gillet, Frédéric Antoun (en alternance avec Philippe Talbot) Allyson McHardy, Jaël Azzerati, Françoise Masset, Jennifer Holloway, Johan Christensson, François Lis, Jérôme Varnier, Emiliano Gonzalez Toro, Aurélia Legay, Nicholas Mulroy, Marc Mauillon.

Toulouse – Théâtre du Capitole les 6,10 & 13 mars à 20h, les 8 et 15 mars à 15h.

05 61 63 13 13 – www.theatre-du-capitole.org

Photo 1 : Frédéric Antoun : Hippolyte / Anne-Catherine Gillet : Aricie
Photo 2 : Stéphane Degout : Thésée / Jérôme Varnier : Neptune
© Patrice Nin

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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