Hamlet d’Ambroise Thomas à l’Opéra de Massy

Armando Noguera, bouleversant Hamlet

Sous la direction d’Hervé Niquet, Armando Noguera fait rayonner la reprise de la production signée Franck van Laecke.

Armando Noguera, bouleversant Hamlet

On ne peut que saluer cette ambitieuse production de l’œuvre d’Ambroise Thomas (1868) qui a réuni à l’Opéra de Massy des éléments lyriques et dramatiques de grande qualité. Le décorateur Philippe Miesch divise la scène en deux parties : dans la partie proche du public, il place la chambre d’Hamlet avec un mobilier minimal, et il sépare la partie arrière de la scène par un rideau – créant une sorte de scène dans la scène –, pour y présenter les différents lieux ou se déroule l’histoire du malheureux prince danois : l’orgie du premier acte, le cimetière de l’acte final… Sur cette scène ainsi structurée, Franck van Laecke se sent très à l’aise afin d’obtenir de ses acteurs le dramatisme voulu au regard de chaque situation. Il se maintient fidèle au livret tout au long de la pièce, mais n’accorde pas au protagoniste (et on le comprend) la fin heureuse prévue par les librettistes. Lors de la séquence des comédiens, il place dans la propre salle du théâtre le chœur et quelques solistes (le roi et la reine) censés regarder la représentation aux côtés du public. Applaudissons au passage la pointe comique de la mise en scène de l’assassinat fictif du roi : un grand bravo aux les trois mimes, Tom Baert, Maxime Huet et Sylvain Saussereau.

Dans la fosse Hervé Niquet donne une lecture de la partition assez particulière, entraînant orchestre et chanteurs vers le forte avec beaucoup de « f » non sans brutalité toute la soirée. Cette option place obsessionnellement l’histoire dans un registre tragique, laissant de côté, nous dirons heureusement, le lyrisme bien présent dans la plupart des mélodies et totalement externe à l’ambiance nocturne et dépressive de l’histoire. Malgré cette option sonore, l’orchestre n’interfère pas négativement avec les chanteurs ni avec le chœur.

Indécision et vengeance

Armando Noguera, dans le rôle-titre, fait preuve d’une dextérité vocale et d’un engagement dramatique qui profilent un prince du Danemark indécis, tourmenté, insolent, amoureux aussi et finalement désespéré. Le baryton argentin se trouve actuellement à son apogée vocal. Son émission est claire, sa puissance infinie, ses récitatifs parfaits, sa diction intelligible et son timbre quelque peu rugueux, autant d’éléments bienvenus pour l’occasion. Il est capable de passer dans le même acte d’une attitude on ne peut plus passionnée face à sa bien-aimée (« Doute de la lumière »), à la plus insondable envie de vengeance (« …ombre vengeresse, j’exaucerai ton vœu ! »). En un mot, le baryton est devenu son personnage.

À ses côtés, Florie Valiquette (Ophélie) nous fait comprendre sa souffrance due à l’absence du prince (« Sa main depuis hier ne touche pas la mienne… ») et mêle douceur, force et agilité lors de son désespoir final (« Le voilà, je crois l’entendre… »). Patrick Bolleire, basse à la voix de tonnerre, campe un Claudius, l’oncle régicide, aussi crédible dans son dédain vis-à-vis du prince que lors de ses moments de repentir pour l’homicide de son frère. Ahlima Mhamdi (Gertrude) exprime à la perfection les troubles d’une reine tiraillée entre son devoir de mère, et l’attirance pour son beau-frère et son penchant pour les moments de débauche. Soulignons l’émission cristalline de Kaelig Boché (Laerte, le frère d’Ophélie) lors de ses deux brèves interventions si différentes, avant et après son voyage à l’étranger, et n’oublions pas la sympathique chanson des fossoyeurs (Pablo Castillo Carrasco et Bo Sung Kim), deuxième contrepoint humoristique introduit par les librettistes.

On ajoutera à la distribution Yoann Le Lan (Marcellus), Florent Karrer (Horatio), Jean-Vincent Blot (le Spectre, à la voix malheureusement sonorisée) et Nikolaj Bukavec dans le rôle de Polonius. Le chœur de la maison, renforcé pour l’occasion avec celui de l’opéra d’Angers-Nantes, dirigé par Xavier Ribes se montre à tout moment à la hauteur.

Photos : Étienne Fernandez et Michelle Soubelet

Ambroise Thomas : Hamlet, livret de Michel Carré et Jules Barbier. Production Angers Nantes Opéra/Opéra de Rennes, reprise à l’Opéra de Massy en production déléguée. Avec Armando Noguera, Florie Valiquette, Patrick Bolleire, Ahlima Mhamdi, Kaelig Boché, Yoann Le Lan, Florent Karrer, Jean-Vincent Blot, Nikolaj Bukavec, Pablo Castillo Carrasco, Bo Sung Kim. Mimes : Tom Baert, Maxime Huet et Sylvain Saussereau. Mise en scène : Franck van Laecke ; décors et costumes : Philippe Miesch ; lumières : Franck van Laecke et Jasmin Ŝehiċ. Chœur d’Angers Nantes Opéra et Chœur de l’Opéra de Massy ; Orchestre national d’Île-de-France, dir. Hervé Niquet.
Opéra de Massy (www.opera-massy.com), 15 et 17 novembre 2024.

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou....

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