Berlioz, un héros parisien

Les éditions Alexandrines publient une traversée du Paris romantique sur les traces de Berlioz.

Berlioz, un héros parisien

HECTOR BERLIOZ (1803-1869) REJOINT PICASSO, Brassens et Gainsbourg grâce à Christian Wasselin, qui apporte sa pierre à la nouvelle collection des éditions Alexandrines, « le Paris des artistes », laquelle vient s’ajouter au « Paris des écrivains ». Cette collection, comme l’indique son intitulé, est consacrée aux artistes qui ont habité Paris, aux lieux qu’ils ont marqués, aux influences qu’ils y ont reçues. L’auteur du Paris de Berlioz livre un récit vivant, documenté, riche de nombreuses références, et réussit dans ce petit format à donner au lecteur une impression vécue de Paris au XIXe siècle. On y découvre Berlioz héros du Boulevard (haut-lieu de la vie musicale à cette époque), entre lieux intimes et chaos urbain, entre rêveries et frustrations, entre théâtres, églises, quais, rues et places parisiennes. Christian Wasselin, avec une plume précise et élégante, met en scène le compositeur dans la ville.

Christian Wasselin, vous êtes l’un des spécialistes de Berlioz en France. Votre dernier ouvrage, Le Paris de Berlioz, est sorti au début du mois. Qu’est-ce que cet angle parisien sur le compositeur vous a appris ?
Il a confirmé le fait que Berlioz est le plus parisien des compositeurs. Berlioz ne s’est pas contenté de faire jouer ses œuvres dans la salle de l’ex-ancien Conservatoire ou d’essayer de conquérir l’Opéra, il s’est également fait entendre dans des églises (Saint-Roch, Saint-Eustache, les Invalides), dans les rues elles-mêmes de la ville (la Symphonie funèbre et triomphale a été créée en cortège de Saint-Germain l’Auxerrois jusqu’à la Bastille via un détour par la Concorde) et jusqu’à ces fabuleux palais de l’Industrie et autre Cirque olympique, sur les Champs-Élysées. Il était prêt à toutes les aventures ! Sur le plan du décor musical, je me suis rendu compte que les images nocturnes de la Symphonie fantastique, jusqu’à l’échafaud et au sabbat, avaient leur pendant dans la procession diurne de la Symphonie funèbre.

Vous peignez une relation ambivalente entre le compositeur et sa ville, où le succès et les échecs se succèdent. Vous évoquez à plusieurs reprises un Paris bruyant et tumultueux, où Berlioz trouve pourtant un certain équilibre, une harmonie. Berlioz adore-t-il ou déteste-t-il Paris ?
Berlioz n’avait pas le choix : en 1830, Paris est la capitale de l’Europe musicale. Il avait beau écrire que Lille est la ville la plus musicale de France (son Chant des chemins de fer y a été créé en 1846), ce n’est pas là, ni à Lyon, à Strasbourg ou à Bordeaux qu’il pouvait espérer vivre sa vie de musicien. Ni d’ailleurs à Saint-Pétersbourg ou en Europe centrale, où il s’est rendu à plusieurs reprises (on lui a même proposé d’être maître de chapelle à Dresde). Londres seul aurait pu l’accueillir durablement, mais l’impresario avec lequel il travaillait a fait faillite. N’oublions pas qu’à Paris Berlioz était aussi journaliste et que sa tribune au Journal des débats devait l’aider dans sa carrière de compositeur.

L’a-t-elle aidé, justement ?
Dans une certaine mesure. C’est grâce à l’appui des Débats qu’il a pu obtenir du gouvernement de Louis-Philippe les commandes du Requiem et de la Symphonie funèbre et triomphale. Mais c’est l’Opéra surtout que visait Berlioz, or il n’a pu faire entendre qu’un seul de ses opéras sur la scène du théâtre de la rue Le Peletier, où se trouvait l’Académie royale de musique, comme on l’appelait à l’époque. Et l’arme du journalisme était à double tranchant : son intransigeance a fait que ses articles lui ont causé des ennemis et qu’il a dû batailler seul pour organiser des concerts dans des lieux surprenants, donc pour faire œuvre d’utopiste. Berlioz fut un urbaniste de la musique !

Ambivalence aussi dans l’accueil de sa musique, entre « cris et trépignements » pour la Symphonie fantastique en 1830, et des Troyens qui trouvent difficilement preneurs en 1858. La carrière parisienne de Berlioz est-elle tout de même teintée de réussite ?
La Fantastique, le Requiem, Roméo et Juliette furent des succès publics ; Benvenuto et la Damnation, des échecs. Le cas des Troyens est différent puisque l’ouvrage fut séparé en deux opéras distincts et qu’on ne représenta que le second, et dans des conditions désastreuses, au Théâtre-Lyrique (notre actuel Théâtre de la ville). Ce qui a manqué à Berlioz, c’est la reconnaissance durable, il n’a guère connu à Paris que des triomphes sans lendemain.

Vous écrivez dans le deuxième chapitre : « On devine Berlioz observant le nez en l’air le ballet des feuilles mortes ». Doit-on imaginer Berlioz vagabond, flâneur ?
Berlioz était à la fois un bourreau de travail et un grand rêveur. Un lecteur s’est étonné que je parle de situationnisme à propos de Berlioz : le mot est anachronique, bien sûr, mais Berlioz raconte comment il aimait marcher dans la ville, se laisser porter. L’« enchantement périlleux » cher aux situs n’est pas si loin !

L’expérience parisienne de Berlioz a lieu dans un contexte politique particulièrement agité. Ces événements sont-ils marquants pour le compositeur ?
Oui, dans la mesure où il a vécu de près la révolution de 1830 : à peine composée sa cantate pour le Prix de Rome, il s’est précipité sur les barricades, mais pour se rendre compte, à titre esthétique. Il a ensuite reçu les commandes que j’ai évoquées grâce à la proximité du Journal des débats avec la Monarchie de Juillet. Mais la Deuxième République et plus tard le Second Empire ne lui ont rien apporté. Il faut lire la virulence de ses lettres sur les rouges de 1848 ! D’un autre côté, Berlioz ne s’est jamais intéressé à la politique. Il n’attendait rien des gouvernements sinon qu’ils fassent régner le silence pour que la musique se fasse entendre. Berlioz s’entendait bien avec les princes mécènes, c’est la raison pour laquelle il a été si bien accueilli dans toutes les cours d’Allemagne, qui à l’époque était une mosaïque de petits états.

Vous montrez dans ce livre l’attirance de Berlioz pour le Paris des personnalités qu’il côtoie, mais vous dites aussi qu’il « n’a jamais été attiré par les breloques ». Quelle explication donnez-vous à ces deux tendances qui semblent s’opposer ?
Pardon, mais je ne vois là aucune contradiction. Berlioz n’était pas attiré par les célébrités de son temps : il les côtoyait, elles faisaient partie de sa vie quotidienne, voilà tout. Inviter chez lui Chopin, Liszt et Vigny, bavarder sur les boulevards avec Théophile Gautier ou Hugo, parler des vertus d’un instrument de Stradivarius avec Paganini, faire répéter l’Orphée de Gluck par Pauline Viardot, se faire prêter un manteau par Balzac au moment de partir pour la Russie, voilà qui va de soi quand on est un artiste en vue. Quand je parle des breloques, j’entends par là les honneurs superflus qui ne flattent que la vanité : si Berlioz a tout fait pour être élu à l’Institut, c’était pour occuper une place qui pouvait être favorable à sa réputation, donc d’abord et avant tout à ses œuvres.

Parmi les nombreux épisodes et anecdotes évoqués dans cet ouvrage, lequel vous a-t-il particulièrement marqué ?
Berlioz a vécu à Paris, il a fait corps avec la ville, il l’a traversée dans tous les sens, il l’a mise à l’épreuve. C’est aussi à Paris qu’il est mort, en 1869. De tous les lieux berlioziens qu’il est encore possible de voir aujourd’hui (et ils sont nombreux !), l’un des plus émouvants est sans doute le cimetière Montmartre, là où il raconte s’être beaucoup promené, là où il est enterré. Le récit qu’il fait de la seconde inhumation de sa première femme, dix ans après qu’elle a été enterrée une première fois au cimetière Saint-Vincent, est une sublime scène de théâtre noir.

Propos recueillis par Quentin Laurens

Christian Wasselin, Le Paris de Berlioz, éditions Alexandrines, coll. « Le Paris des artistes », 2023, 128 p., 10 € (cet ouvrage a reçu le soutien de l’Association nationale Hector Berlioz). Du même auteur, dans la collection « Le Paris des écrivains » : Le Paris de Nerval (2017).

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Quentin Laurens

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