Antigone de Sophocle
Une Antigone palestinienne
Dans la mise en scène d’Adel Hakim Antigone est palestinienne. Jouée en arabe par les acteurs du Théâtre national palestinien de Jérusalem-Est où le spectacle a été créé, l’histoire d’Antigone et du peuple de Thèbes racontée par Sophocle il y a quelques siècles s’enracine dans une réalité contemporaine de chair et de sang. Figure de désobéissance, d’insoumission à une loi inique, de résistance, Antigone se dresse du haut de sa jeunesse face au pouvoir de son oncle Créon, pour réclamer la sépulture qu’il refuse à son frère Polynice. Mort en combattant contre son frère Etéocle, Polynice est accusé par Créon d’avoir trahi la cité alors qu’Etéocle, érigé en martyre, recevra les funérailles qu’il mérite. Chez Sophocle, Antigone se rebelle au nom du respect des dieux ; les hommes n’ont pas le droit de transgresser la loi divine qui dit que tous sont égaux devant la mort. Tous les protagonistes mettent en garde Créon, Antigone la première, puis le devin Tirésias, son fils Hémon, le fiancé d’Antigone, la reine même. Au mépris des siens et de son peuple, Créon persistera dans son aveuglement funeste. Shaden Salim est une Antigone vibrante. Jamais on n’a senti à ce point combien cette presque enfant est prête à mourir pour défendre son frère, la justice et sa terre. Le destin tout entier d’Antigone n’est que tragédie, depuis sa naissance, ce qui lui donne ce courage tragique : « Lorsqu’on a vécu comme moi plongée dans le malheur, la mort n’est pas un malheur. »
Adel Hakim fait jouer la pièce en costumes de ville, dans un beau décor épuré d’Yves Collet. Un plateau nu, au fond, un mur troué de petites ouvertures carrées qui laisse filtrer une douce lumière dorée changeante dont la double paroi coulisse dans un bruit sourd évoquant le mouvement d’une lourde porte (de palais, de prison…). Le pouvoir se tient dans un lieu retranché, loin du peuple. Comment ne pas penser au mur bien réel qui sépare Israël de la Cisjordanie ? Outre quelques éléments qui font signe – tels que la rumeur de la guerre qui s’estompe vite, la projection de la photo de Polynice qui rappelle les photos de martyre, ou l’hommage au poète disparu Mahmoud Darwich –, le metteur en scène, faisant confiance au texte, n’a pas cherché l’actualisation de la pièce dont les seuls mots suffisent à tisser des liens avec la situation du peuple palestinien, comme il le ferait avec tout peuple opprimé. L’expressivité tout orientale des acteurs, la plupart excellents, et de la belle musique du trio Joubran rend Antigone aux rivages méditerranéens qui l’ont vue naître. Si l’intention est politique, le geste artistique démontre, s’il était nécessaire, l’universalité extraordinaire et la puissance évocatrice du texte de Sophocle.
Texte arabe : Abd el-Rahmane Badawi Texte français et mise en scène : Adel Hakim Avec : Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Garbieh, Kamel al-Basha, Mahmoud Awad, Yasmin Hamaar, Shaden Salim, Daoud Toutah. Scénographie et lumières : Yves Collet . Musique : Trio Joubran. Poème Sur cette terre : texte et voix de Mahmoud Darwich. Costumes : Shaden Salim. Vidéo : Matthieu Mulot, Pietro Belloni. Théâtre des quartiers d’Ivry, Ivry-sur-Seine. Rés : 01 43 90 49 49. Jusqu’au 15 janvier 2017 à 20 heures vendredi et samedi. Durée : 2h.
Coproduction Théâtre national palestinien, Théâtre des Quartiers-d’Ivry. Avec l’aide du consulat général de France à Jérusalem, du centre culturel français Chateaubriand, du service de coopération italien du ministère des Affaires extérieures, du T.A.M. et du Groupe des 20 théâtres en Ile-de-France
Photographies : Nabil Boutros