Roxane Borgna
Le goût du feu
Depuis qu’elle a tenu de grands rôles dans les spectacles de Jean-Claude Fall, Renaud-Marie Leblanc et Benoît Vitse, Roxane Borgna est une personnalité éclatante d’un théâtre passionné et très physique. Issue du Conservatoire de Montpellier et du cours Florent, elle revendique aussi une formation reçue dans les stages donnés par de grands metteurs en scène et chorégraphes en Russie.
Rencontre avec cette comédienne-metteuse en scène, au moment où elle joue avec Anna Andreotti à la Girandole de Montreuil, chez Luciano Travaglino, une électrique adaptation des textes de Grisélidis Réal, toute en flashes où mots et corps crépitent dans un jeu fauve.
D’où viennent cet intérêt pour Grisélidis Réal et ce besoin de transposer ses textes en spectacle ?
Quand j’ai joué l’un de chapitres de Belle du Seigneur d’Albert Cohen, quelqu’un m’a parlé de Grisélidis Réal. Plus tard, mon amie Anna Andreotti, qui est comédienne, m’a apporté un livre d’elle en me disant : « Voilà ton prochain solo ». Je suis allée voir qui était ce personnage, cet écrivain suisse, qui avait été prostituée et dont les livres content sa vie et ce qu’elle pense de la prostitution. J’ai d’abord regardé les entretiens en ligne, et je suis tombée en amour pour elle. J’ai lu les livres, fait des choix. C’est quelqu’un qui a traversé le feu en passant par une extrême douleur. Je ne me suis pas sentie légitime pour jouer son personnage. J’ai proposé au contraire à Anna de la mettre en scène. Puis nous en avons parlé avec Jean-Claude Fall. Nous avons finalement fait un spectacle à deux, mis en scène par Fall, en voulant ne pas être dans le jugement mais dans la liberté, en retrouvant cette mise en question du code moral et de la justice.
Qui est Grisélidis Réal pour vous ?
A 25 ans, mariée, avec deux enfants, elle a senti qu’elle était passée à côté de sa vie. Elle est partie avec ses enfants et a commencé la prostitution en Allemagne dans des conditions très sordides. Bien qu’elle ait failli mourir vingt fois, elle a aimé faire ce don d’elle-même. Elle dit qu’elle « faisait l’amour ». Elle l’a fait pendant plusieurs dizaines d’années, préférant les ouvriers, les noirs (Le noir est une couleur est son premier livre). Grisélidis est, pour nous tous, une source d’amour.
Comment s’organise le spectacle ? Vous incarnez Grisélidis Réal ?
Non, non ! Ce pouvait être ma première idée. Jean-Claude Fall a choisi de tout ramener au plus dépouillé. On n’incarne pas. Anna Andreotti et moi, on porte la parole de Grisélidis pour faire entendre des voix différentes. Il n’y a pas de personnage. Nous sommes des corps en action en écho avec ce qu’elle a été. C’est des gestus, des systèmes plus que du réalisme. Notre lieu de jeu, c’est l’endroit où elle brûlait, elle.
Aussitôt après, à Montpellier, vous mettez en scène vous-même et vous jouez Melle Julie # Meurtre d’âme d’après Strindberg.
C’est un projet très important pour moi. J’ai toujours pensé que, dans Mademoiselle Julie, la chronologie figeait l’action. J’ai trouvé ce que je souhaitais dans le texte de Moni Grégo qui a eu le courage d’écrire cru et trash. Et je voulais travailler avec Laurent Rojol qui a fait la vidéo de plusieurs de nos spectacles, dont Une vie bouleversée. Là, il n’y aura rien sur le plateau, uniquement éclairé par les vidéoprojections. L’action se passe plus sur des ilots autour du plateau que sur la scène. La double idée de la mise en scène est de ramener Mademoiselle Julie à une histoire d’amour et de la faire jouer par un couple qui ressemblerait à un couple d’acteurs de Cassavetes. Je jouerai Julie, Jacques Descorde Jean et Laurent sera à la fois Strinbdberg et Cassavettes ! J’espère faire de plus en plus de mises en scène.
Quelle est la situation d’un acteur, d’une compagnie à Montpellier ?
Je n’ai pas encore rencontré les nouveaux directeurs du Centre dramatique des 13 vents, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano. Il y a des lieux vivants, comme le Théâtre de la Vignette, que dirige Nicolas Dubourg où nous allons jouer, le Théâtre Jean Vilar, le Théâtre d’O… Mais il faudrait une vraie maison des artistes, une fabrique…
Suis-je encore vivante ? d’après les écrits et les dits de Grisélidis Réal, mise en scène de Jean-Claude Fall, chorégraphie de Naomi Fall, avec Anna Andreotti et Roxane Borgna. La Girandole, Montreuil, jusqu’au 12 octobre, tél. : 01 48 57 53 17. (Durée : 1 h 15).
Mlle Julie # Meurtre d’âme de Moni Grego d’après August Strindberg (Editions théâtrales du Grand Sud-Ouest), mise en scène de Roxane Borgna, collaboration artistique de Laurent Rojol, vidéo de Laurent Rojol, univers sonore d’Eric Guennou, mise en corps de Mitia Fédotenko, photographies dans la vidéo de Marie Rameau, vidéo de la marée d’Alain Demissy, avec Jacques Descorde, Roxane Borgna, Laurent Rojol. Théâtre de la Vignette Université Paul Valéry 3, Montpellier, tél. : 04 67 14 55 98, les 16, 17 et 18 octobre. (Durée : 1 h 30).
Photo DR : Roxane Borgna et Anna Andreotti dans Suis-je encore vivante ?