L’intégrale des symphonies de Sibelius par l’Orchestre philharmonique de Radio France

Sept merveilles du monde symphonique

En trois concerts très ramassés, Mikko Franck dirige à Radio France le Concerto pour violon et l’intégralité des symphonies de Jean Sibelius.

Sept merveilles du monde symphonique

IL Y A LES SEPT COLLINES DE ROME, les sept jours de la semaine, les sept péchés capitaux, les sept collines de Rome, Les sept boules de cristal, les sept notes de la gamme diatonique… Il y a aussi les sept symphonies de Sibelius, composées de 1899 à 1924, suivies par une Huitième Symphonie peut-être (in)achevée, peut-être brûlée, dont il ne reste rien et qui fait partie des mythes de l’histoire de la musique. Ces symphonies, ainsi que le Concerto pour violon et orchestre du même Sibelius, ont fait l’objet de trois concerts consécutifs donnés par l’Orchestre philharmonique de Radio France et son directeur musical Mikko Franck.

Ce dernier a choisi, tout simplement, de suivre l’ordre chronologique, qui permet d’évaluer l’évolution de la manière du compositeur au fil de vingt-cinq ans de création. On aurait pu toutefois imaginer différemment la répartition des œuvres : la chronologie oblige de donner les deux premières symphonies, d’une durée égale, lors du premier concert, d’en jouer trois à la suite lors du dernier, la Septième ne durât-elle qu’une vingtaine de minutes ; une alternance de symphonies brèves et de symphonies longues aurait équilibré chaque soirée d’une autre manière, quitte à ajouter un ou deux poèmes symphoniques. Mais les contraintes d’occupation des lieux, cette fois, n’aurait sans doute pas permis de donner quatre concerts au cours de la même semaine.

Ruptures et bascules

Telle quelle, cette intégrale est une éclatante réussite, et on devine que Mikko Franck souhaitait depuis longtemps s’y frotter. Précisons que si le directeur musical du Philhar est très à l’aise dans ce répertoire, ce n’est pas, bien sûr, parce qu’il est lui-même finlandais, mais parce qu’il en maîtrise parfaitement les structures. On a beaucoup parlé de la manière dont Sibelius soignait ses transitions. Certes. Mais son esthétique est faite avant tout de ruptures ; à peine sommes-nous installés dans un climat que tout à coup, à la faveur d’une batterie inquiétante des cordes ou d’un changement brusque de tempo, on bascule dans une humeur différente. Sibelius rechigne à développer benoîtement ses thèmes et ne fait guère appel au folklore de son pays (à peine la Sixième Symphonie ou le début de la Troisième sonnent-ils comme des souvenirs de motifs traditionnels), le pittoresque occupe peu de place chez lui, les effectifs sont relativement sobres : si la Première convoque les cymbales, les percussions se résument souvent à un timbalier, avec un inattendu glockenspiel dans la sévère Quatrième, et, de temps en temps, une harpe.

À partir d’un matériau abstrait, Sibelius ouvre ainsi des abîmes immenses. Comme l’expliquait le chef Colin Davis : « Sibelius, d’une certaine manière, est très proche de Berlioz. Tous deux se situent en dehors de la cité, ils regardent la bourgeoisie par la fenêtre. Il y a quelque chose d’effrayant chez ces deux musiciens dans leur manière de prendre la mesure du monde et des forces qui le gouvernent. Sibelius est le seul compositeur capable d’exprimer ce qu’il y a de mythologique dans les choses. Il existe en lui un formidable potentiel de poésie et de destruction. De même, Berlioz arrive à déclencher des orages, des tempêtes, des tremblements de terre que personne ne peut concevoir. »

Andantino rêvé

Cette complexité dans l’architecture, ces jeux sur les timbres, Mikko Franck les fait siens. Il nous rappelle que les deux premières symphonies sont peut-être aussi proche d’un Rachmaninov (pourtant légèrement postérieur, chronologiquement) que d’un Tchaïkovski, il nous livre un mouvement lent, dans la Troisième, d’une beauté stupéfiante par le balancement rythmique et l’entrelacs des couleurs (à tel point qu’on n’entend aucune toux, aucun crachotement dans la salle, ce qui est miraculeux), il aborde avec une lenteur maîtrisée la fin du dernier mouvement de la Cinquième, qui dilate l’horizon. Juxtaposer celle-ci avec la Sixième, qui tout à coup fait chanter les sources et les fleurs, devient même une bonne idée ! On goûte le relief atteint par l’orchestre, les mille couleurs des cors, et ce raffinement dans les nuances permis par l’intimité de l’Auditorium de Radio France. On ne citera pas ici tous les pupitres, mais les bois en particulier (ah, le solo de basson dans le premier mouvement de la Cinquième !) sont à la fête, avec ce duo toujours complice que forment la flûtiste Magali Mosnier et le hautboïste Olivier Doise.

C’est Hilary Hahn qui interprétait le Concerto pour violon (n’oublions pas que Sibelius, au départ, souhaitait mener une carrière de violoniste). Sa complicité avec Mikko Franck n’est plus à dire, sa maîtrise technique non plus. Une lecture sans effusion sentimentale, sans austérité non plus : nous ne sommes pas dans la Quatrième Symphonie !

Illustration : Sibelius photographié par Yousuf Karsh (dr)

Sibelius : les sept symphonies – Concerto pour violon et orchestre. Hilary Hahn, violon ; Orchestre philharmonique de Radio France, dir. Mikko Franck. Auditorium de Radio France, 10, 11 et 12 avril 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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