A la Scala de Paris jusqu’au 19 juin 2024

Moman, Pourquoi les méchants sont méchants ? de Jean-Claude Grumberg

retour en enfance

Moman, Pourquoi les méchants sont méchants ? de Jean-Claude Grumberg

« Que fait-on quand on est vieux ? on pense à sa tendre enfance et surtout si elle ne fut pas si tendre. […] c’est donc sans doute en pensant à ma moman chérie à moi et sa voix à elle et aussi à son petit garçon que je me suis mis à écrire les cinq petits moman […] Quand on est vieux on ne peut rien faire contre le passé qui revient et qui se transforme malgré vous sur le papier… »
Ce n’est pas la première fois que Jean-Claude Grumberg évoque sa propre mère. Il y a eu Maman revient pauvre orphelin (1993) et Votre maman (2012). Mais dans Moman (2015), il se met en scène à travers le personnage de Louistiti, retrouvant ainsi la tendre relation maternelle, même si sa maman « ne parlait pas exactement comme ma moman de papier et Louistiti son fiston chéri ne parle pas comme je parlais ». Moman c’est un dialogue entre une mère et son fils en cinq tableaux où l’on rit de l’insatiable curiosité de l’enfant et de son langage écorché comme l’auteur devait l’être lui-même aux temps tragiques de son enfance, et on s’émeut de la patience de la mère et de la tendresse infinie qui sourde de tous les pores des répliques.

Pour interpréter cette pièce, initialement destinée à la jeunesse mais qui ravit aussi les vieux enfants, deux comédiens exceptionnels, Hervé Pierre et Clotilde Mollet. La mise en scène et la scénographie de la plasticienne Noémi Pierre ont un caractère faussement enfantin, d’une grande simplicité qui rappelle les spectacles que les enfants inventent pour leurs parents. Une sorte de castelet, à l’occasion théâtre d’ombres, une structure rudimentaire avec laquelle les comédiens jouent. On ne pouvait choisir meilleurs interprètes pour incarner ce duo fragile, tendre et drôle dont les dialogues, s’ils font rire avec les avalanches de « pourquoi » et de questions de l’enfant, grand inventeur de mots tordus tout comme sa mère (des cousins de la Môme néant de Jean Tardieu), sont sous-tendus d’inquiétudes qui tournent autour de la peur, du chagrin, de la pauvreté, de la méchanceté incompréhensibles des hommes, des cauchemars, du traumatisme de la guerre qui s’insinue toujours dans l’œuvre de Grumberg, ou comment dire l’horreur à bas bruit :
« — M. A demain mon coeur. Bonne nouit.
— L. C’est sûr ça moman ?
— M. Quoi qu’est sûr acore ?
— L. Qu’on se reverra demain »

La musique d’Hugo Vercken rythmée, ludique et pleine d’humour, qui intervient en transition entre les scènes, intègre joliment des mots du texte au cœur des percussions et des notes nostalgiques d’un orgue de barbarie. Il est rare que la musique au théâtre soit autant en dialogue avec le spectacle. L’auteur a ajouté un épilogue fort bienvenu car en renversant la situation, le texte trouve alors une résolution et offre une dimension sensible supplémentaire. Un moment de théâtre rare et délicat, sur le fil d’une ligne harmonique parfaite entre texte, mise en scène, musique et interprètes.

Moman, pourquoi les méchants sont méchants ? de Jean-Claude Grumberg. Avec Clotilde Mollet et Hervé Pierre. Mise en scène et scénographie, Noémi Pierre. Lumières, Nièves Salzman. Musique, Hugo Vercken. A La Scala jusqu’au 19 juin 2024. Durée : 1h10. A partir de 12 ans.
Résa : 01 40 03 44 30. www.lascala-paris.fr

© Thomas O Brien

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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