L’Orchestre symphonique Simón Bolívar à la Philharmonie de Paris le 11 janvier
Une Troisième de Mahler d’une efficacité toute martiale
Gustavo Dudamel est acclamé par un public qui lui est acquis, pour sa vision haute en couleurs du monde mahlérien.
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- 16 janvier
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PLUS QU’AUCUNE AUTRE DE SES SYMPHONIES, la Troisième de Mahler pose à l’interprète des questions fort subtiles qui sont autant de défis : comment conjuguer le sentiment tellurique et le miniaturisme, la hauteur de vue et l’acuité dans le détail, la force et la fragilité ? Il s’agit en somme d’emplir l’espace sonore sans le saturer et de saisir dans toute sa finesse l’alliage mystérieux de violence et de sensibilité que le compositeur y a inscrit. La chose est tout sauf simple, et Gustavo Dudamel à la tête de l’Orchestre symphonique Simón Bolívar a choisi, du moins dans le premier mouvement, la voie la plus directe : mettre en valeur les arêtes rythmiques, les aspects martiaux, l’esprit de la guerre, bref le rythme. Cela a eu pour effet de galvaniser un public où la communauté vénézuélienne de Paris (et sans doute aussi celles d’autres pays d’Amérique du Sud) était fort bien représentée et qui semblait attendre de cette soirée la confirmation de la haute qualité de l’orchestre et de son chef, sans trop d’exigence apparemment sur la fidélité des interprètes à la substance la plus secrète de la musique de Mahler. Pour ceux qui attendaient autre chose qu’une grande machine orchestrale, la soirée a pu décevoir, tant le chef semblait surligner chaque événement sonore – changement subit de densité, apparition d’un solo, cuivres en majesté jouant fortissimo, etc. Même dans le troisième mouvement, inspiré du lied Ablösung im Sommer (issu du cycle de lieder Des Knaben Wundehorn), où la rythmicité régulière et les effets de scansion se voient ensuite subtilement dévoyés par Mahler pour ouvrir sur tout un champ de désolation et de mélancolie, le chef entend scander coûte que coûte et en force ce que l’auditeur voudrait plus souple, plus incertain, moins glorieux...
Une interprète solaire
Heureusement, la présence royale de Marianne Crebassa dans le fameux quatrième mouvement, inspiré du texte de Nietzsche issu d’Ainsi parlait Zarathoustra, dit aussi « Chant de minuit » (« O Mensch... ») releva fortement l’intérêt, d’autant que le chœur d’enfants et le chœur féminin de l’Orchestre de Paris qui l’accompagnaient ensuite (cinquième mouvement) se révélaient des interprètes d’exception, tout à la fois dans la pureté de leurs timbres, la perfection de leur travail prosodique, le sentiment de profond mystère que suscite dans cette partie de la symphonie, le texte très étrange choisi par Mahler – entre transcendance chrétienne et cruauté... Quant au finale de la symphonie, qui peut sembler si interminable lorsqu’il est mal dirigé, eh bien il sembla interminable, en effet. Comme si le chef vénézuélien, privé de tous les effets spectaculaires que permet le premier mouvement, ne pouvait que suivre, pour ainsi dire passivement, le déroulement bizarre de ce mouvement si long, sans lui insuffler une nouvelle âme.
En ouverture de la soirée, on a pu savourer deux pièces très émouvantes d’un compositeur inconnu dans nos contrées, José Antonio Abreu (1939-2018) : Sol que vida a los trigos (« Soleil qui donnes vie aux blés ») et Luz Tú (« Toi, la lumière »), respectivement écrites sur des poèmes du Vénézuélien Manuel Felipe Rugeles et de l’Espagnol Juan Ramón Jiménez. Ces deux œuvres pour chœur d’enfants a capella ont transporté l’auditoire dans un monde à l’air raréfié, splendide lever de rideau pour une soirée par ailleurs décevante.
Illustration : Gustavo Dudamel et son orchestre (photo Charles d’Hérouville)
José Antonio Abreu : Sol que vida a los trigos - Luz Tú. Gustav Mahler : Troisième Symphonie. Marianne Crebassa, mezzo-soprano ; Chœur de l’Orchestre de Paris, chœur de jeunes et chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris ; Orchestre symphonique Simón Bolívar, dir. : Gustavo Dudamel. Philharmonie de Paris, 11 janvier 2025.