Du 2 au 31 décembre 2023 au Théâtre de L’Atelier.

Une Journée particulière de Ettore Scola par Lilo Baur.

La rencontre de deux êtres marginalisés que tout oppose.

Une Journée particulière de Ettore Scola par Lilo Baur.

Le 6 mai 1938 à Rome, Hitler rencontre Mussolini lors d’un défilé marquant l’entente fasciste de l’Allemagne et l’Italie. Au même moment, une rencontre a lieu dans un immeuble déserté de ses habitants partis pour assister à cet événement historique : Antonietta, femme au foyer et mère de six enfants, frappe à la porte de Gabriele, un chroniqueur sportif célibataire, afin de récupérer son perroquet qui s’est échappé de sa cage et réfugié sur le rebord de la fenêtre de ce voisin inconnu.

La metteuse en scène Lilo Baur note que le cinéaste Ettore Scola pour Una giornata particolare avec Sophia Loren et Marcello Mastroianni, concevait un film sur « la condition de la femme et de l’homosexualité en 1977 », deux conditions exposées dans les liens interpersonnels sociaux, -intimité bafouée face à un système politique coercitif, répétition de temps fascistes et nationalistes.

Une Journée particulière expose ce rapport à l’intime trop souvent mis de côté, dans la rencontre de deux personnages que tout oppose, Antonietta, épouse et bonne mère, et Gabriele, cultivé et homosexuel, qui se découvrent dans cet immeuble déserté par ses habitants admiratifs du Duce.

Les deux dans leur différence sont soumis aux mêmes diktats et au carcan mis en place par le régime fasciste. Dans cette contrainte de ne pas se fondre dans la masse des autres, ils vont découvrir des espaces inconnus de partage et d’échange - reconnaissance, respect, confiance, grâce et liberté. Même isolement pour Antonietta qui survit dans l’urgence, niée entre enfants et mari, et Gabriele, marginalisé, confiné dans son appartement : ils se révèlent l’un à l’autre.

Avec Gabriele, Antonietta se sent exister : « Maintenant, je suis heureuse. Tu es là et je te parle. Tu m’écoutes et je sens que pour toi, j’ai du respect (…) Il me suffit de te voir, de t’écouter pour savoir que j’existe aussi. » Ils se parlent, se regardent sans jouer ; il lui offre un livre, elle lira enfin.
C’est elle, l’oiseau qui s’échappe de sa cage et s’envole dans les airs, libre et en accord avec elle.

Laetitia Casta porte une aura lumineuse naturelle, les atouts d’une femme attentive autant qu’active, sûre d’elle et de ses sentiments, même dans l’incertitude et l’inconnu, par-delà les empêchements de revenir à soi et de s’épanouir : elle s’affaire sans cesse mais sait parler aussi.

Le digne Roschdy Zem interprète Gabriele, à la fois tenu, réservé et à la présence intense. Tous deux forment un couple proche, aimable et aimant, dont la sensibilité affleure de scène à salle.

Par-delà les clameurs tonitruantes de la foule acquise au fascisme à l’extérieur de l’immeuble, et des cris des enfants à l’intérieur, la douceur nostalgique du film à la couleur sépia est restituée sur le plateau de Lilo Baur, tant sont dessinées avec tact et délicatesse les scènes entre la femme amoureuse et l’homosexuel haïssant les valeurs fascistes : celui-ci initie celle-là à la lecture et à la littérature qu’elle porte en elle, sans le savoir, tandis qu’il s’émeut de sa fraîcheur et sa lucidité.

Les tourments de Gabriele semblent s’adoucir, libéré de l’humiliation, avant sa fin qu’on devine dramatique et tragique, dans cette rencontre inopinée qui privilégie la belle évidence d’être au monde et cet amour d’une vie intuitive et instinctive, quoiqu’il arrive. Et Antonietta, depuis sa servitude obligée accède merveilleusement à l’éveil à soi - une reconnaissance existentielle.

Au-delà des conformismes et des résignations, un spectacle-plaidoyer pour le droit à la différence dont la résonance est active encore dans sa peine à atteindre tous les pays de la planète.
Un regard politique doublé d’une réussite poétique, tant dans la subtile scénographie tournante qui mène d’un appartement à l’autre, que dans les deux stars élues qui font preuve de vie vraie.

Une journée particulière de Ettore Scola, adaptation pour le théâtre Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari, texte français de Huguette Hatem (L’Avant-Scène Théâtre, coll. Quatre-Vents, 2022), mise en scène Lilo Baur. Avec Laetitia Casta, Roschdy Zem, Joan Bellviure, Sandra Choquet. Scénographie Bruno De Lavenere, costumes Agnès Falque, lumière Laurent Castaingt, musique Mich Ochowiak, vidéo Etienne Guiol. Du 2 au 31 décembre 2023,, du mardi au samedi à 21h, dimanche 16h, double représentation exceptionnelle le 31 décembre, 16h et 21h, au Théâtre de L’Atelier 1, place Charles Dullin 75018 - Paris. Du 10 au 12 janvier 2024 au Théâtre National de Nice. Les 19 et 20 janvier Châteauvallon-Liberté Scène nationale. Le 23 janvier Théâtre du Jeu de Paume Aix-en-Provence. Le 13 février au Salmanazar, Scène conventionnée d’Epernay, et en février encore au Teatro Cucinelli Perugia.

Crédit photo : Simon Gosselin.

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Véronique Hotte

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