Opéra National de Paris
Un Bal masqué de Giuseppe Verdi
Le Bal manqué de la Bastille
- Publié par
- 8 juin 2007
- Critiques
- Opéra & Classique
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Difficile de rendre compte d’une production dont la première semble avoir attiré les foudres de la malédiction. Déception pour tous les fous de gosier d’or accourus pour entendre leur idole, le ténor Marcelo Alvarez qui avait déclaré forfait pour raisons de santé et était remplacé in extremis par l’Américain Evan Bowers… également souffrant. Celui-ci, malgré un souffle qui manifestement l’abandonnait, accepta d’assurer jusqu’au bout le spectacle moyennant aide médicale et légers raccourcis… On salue bien évidemment sa détermination qui évita l’annulation pure et simple, mais le courage ne suffisant pas à assumer un premier rôle de cette ampleur, inutile de préciser que le pauvre Riccardo fut ce soir-là doublement assassiné.
Ludovic Tézier, sauveur de la soirée
En deuxième ligne, pour en rester au registre des voix, la performance de la soprano Angela Brown ne réussit guère à trouver l’émotion du personnage d’Amalia, l’épouse déchirée qui reste pure au-delà de sa passion adultère. Voix ample certes mais à la justesse, hélas, trop souvent vacillante. Ulrica, la voyante, défendue par la mezzo soprano russe Elena Manistina, se révéla en revanche tout à fait crédible en possédée du diable, son vibrato s’accordant aux transes du personnage. Le page Oscar eut le charme et les aigus en cascades de Camilla Tilling mais c’est Ludovic Tézier, magnifiquement en voix, la projection claire et le phrasé impeccable qui fut le sauveur de la soirée. Le jour où on lui apprendra à se servir de son corps autant que de sa voix, on pourra le sacrer meilleur baryton français de sa génération. Il est vrai que la direction d’acteurs n’est pas la qualité première du metteur en scène belge Gilbert Deflo qui a davantage le sens des images fortes et d’une forme de truculence qui avaient notamment fait merveille dans L’Amour des Trois Oranges (également présenté à Bastille).
Un manque de vison politique
Dans ce théâtre que son directeur Gérard Mortier veut si ardemment novateur, on s’étonne du manque de vision politique apportée par Deflo à cette œuvre, fondée sur une histoire vraie d’assassinat politique – celui de Gustave III de Suède tué au cours d’un bal masqué - qui, en son temps, connut la censure et provoqua de tels remous, que Verdi fut forcé d’en transposer l’action… en Amérique. Une Amérique symbolisée ici par un aigle géant voyageant d’acte en acte et qui se contente de servir de décor. On cherche en vain, un parti pris, une idée directrice. Seuls les dragons cracheurs de l’antre d’Ulrica et le bal du dernier acte, métamorphosé en veillée funèbre avec un ravissant ballet de Pierrots et Colombines, apportent à l’ensemble une note d’étrangeté et de poésie…
Semyon Bychkov, le maestro russe, très attendu pour sa première prestation à l’Opéra National de Paris, se démena tout feu tout flamme pour apporter démesure et compassion à la luxuriante partition verdienne, sans éviter quelques décalages et dérapages forcément dus au remue ménage improvisé sur scène.
Bref le rendez-vous fut manqué avec cette œuvre de belle maturité trop rarement portée sur scène.
Un Bal masqué de Giuseppe Verdi, livret d’Antonio Somma d’après Gustave III ou le Bal Masqué d’Eugène Scribe. Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Semyon Bychkov. Avec Evan Bowers, Marcelo Alvarez, en alternance avec Neil Shicof (les 7 & 13 juillet), Ludovic Tézier, Angela Brown en alternance avec Aprile Millo (7,10,13 juillet), Elena Manistina, Camilla Tilling, Jean-Luc Ballestra, Michil Schelomianski, Scott Wilde, Pascal Meslé, Nicolas Marie. Opéra Bastille, les 4,7,10,13,16,19,22,25,28 juin et les 4,7,10,13 juillet.
08 92 89 90 90
Photos : Eric Mahoudeau / Opéra national de Paris.