Critique – Opéra & Musique

Royal Palace– Il Tabarro

Kurt Weill et Puccini les pieds dans l’eau…..

Royal Palace– Il Tabarro

Une création inédite en France, une nouvelle production d’un classique. Six mois après L’Hirondelle inattendue de Simon Laks couplée avec L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel (voir WT 4927 du 22 décembre 2015), Valérie Chevalier, directrice de l’Opéra national de Montpellier Languedoc Roussillon récidive avec le doublé Royal Palace de Kurt Weill, en première scénique mondiale, associé à Il Tabarro de Puccini et en confie la réalisation à Marie-Eve Signeyrole, metteur en scène en résidence pour la saison 2016/2017.

Les deux œuvres ont peu de choses en commun si ce n’est l’époque de leur création – le premier quart du 20ème siècle – et le thème qui les relie en filigrane - le mari, la femme et l’amant - sujet de vaudeville détourné en drame et mélodrame chez l’un et l’autre des compositeurs. Aucune autre similitude figure au générique de ces deux opéras.

Mais Royal Palace, deuxième tentative lyrique d’un Kurt Weill d’à peine 26 ans, est-il vraiment un opéra ? Il ne s’y passe pratiquement rien. Au bord d’un lac, dans les jardins d’un hôtel de luxe, six personnages errent en quête de sens… Une femme (Déjanira) est convoitée par trois hommes, son mari, son amant d’hier et celui de demain. Ils n’ont pas de noms, ils sont désignés par leur fonction. Chacun exprime à Déjanire son amour, ses désirs, ses regrets et, pour l’amuser, lui font des cadeaux, un dîner exotique, un voyage, un ballet … Elle n’en veut pas, elle ne veut plus de cette vie et se jette dans le lac. Une soprano commente ses pulsions en coulisses. Deux pêcheurs, un jeune, un vieux, pauvres hères ont observé ces oisifs sans souci…

L’écrivain polémiste Alsacien Ivan Goll a conçu le livret d’après le poète et dramaturge Georg Kaiser, qui avait déjà inspiré Le Protagoniste, le tout premier opéra de Kurt Weill. Celui-ci bouscule les traditions, les fait basculer dans un kaléidoscope sonore où quelques jets d’atonalité se fondent dans les harmonies traditionnelles, rebondissent sur du jazz, du folk, des danses -valses, fox trot, tangos – des coups de klaxon et les bouffées de mélancolie de musiques juives (comme Offenbach Weill était fils de cantor). Et, pour que l’ensemble devienne une sorte de prototype de Théâtre total, il lui injecte même du cinéma !

A sa création en 1927 au Staatsoper de Berlin, toutes ces audaces additionnées réservèrent un accueil mitigé à celui qui allait devenir le père de l’universel Opéra de Quat’sous, de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny et de quelques autres succès planétaires. Exil forcé à l’arrivée au pouvoir d’Hitler, à Paris puis aux Etats Unis. Les œuvres de Weill sont mises à l’index, leurs partitions brûlées… Il fallut attendre 1971 pour que Gunther Schuller, compositeur et Noam Sheriff, chef d’orchestre en reconstituent l’ensemble. Une première version de concert eut lieu à Londres en 2000. Montpellier en produit donc la première réalisation sur scène.

Le lien imaginé par Marie-Eve Signeyrole pour relier le drôle de huis clos de Weill à la première partie du Triptyque-Il Trittico vériste de Puccini, tient du rêve aquatique…. Michele, le mari jaloux de la Giorgetta d’Il Tabarro se serait endormi dans la cale de sa péniche amarrée en bord de Seine…. Un cauchemar surréaliste l’entraîne sur les vies déviées d’une femme et de trois hommes rescapés d’un crash aérien. Se servant d’un des cadeaux offert à la Déjanire de Royal Palace, Signeyrole imagine une promenade en avion s’achevant par une chute dans l’océan. Royal Palace devient ainsi le nom de l’avion et les bords du lac se transforment en mer démontée.

A son réveil – après l’entracte – Michele retrouve les espaces familiers de la coque de sa péniche et les interrogations de sa vie de couple qui tangue depuis la mort de leur enfant. Malade de jalousie, sur de simples soupçons, il assassine l’un de ses ouvriers puis dissimule son corps dans son manteau, son « Tabarro », sa Houppelande.

Malgré la splendeur des décors et des vidéos qui nous entraînent des nuages d’un ciel d’orage dans les dessous marins, sur la carcasse de l’avion, dans la chambre froide de la solitude de Michele, la lecture ou plus exactement la relecture des deux œuvres par Marie-Eve Signeyrole en dilue et en brouille la compréhension. Sa démarche nous entraîne dans des labyrinthes psychanalytiques qui s’achèvent en chemins sans issue. Les symboles, les énigmes s’amoncellent en points d’interrogations. Quiconque ne connaîtrait pas les détails des livrets originaux, s’y perdrait…

Restent les musiques et leurs interprètes à écouter avec un évident plaisir. La direction d’acteurs de Marie-Eve Signeyrole, reste toute de finesse. Conformément à son parti-pris de mise en scène, les chanteurs sont dédoublés dans les personnages de Weill et de Puccini. Kelebogile Besong, soprano sud-africaine, passe en aisance et intériorité de Déjanira à Giorgetta, leur conférant l’homogénéité d’un timbre dramatique tout en nuances pastels. Le baryton Ilya Silchukov s’investit dans l’amant d’hier de Royal Palace avant de devenir le Michele soupçonneux d’Il Tabarro. Il a une présence qui émeut, une voix qui caresse, Florian Cafiero, voix claire et ferme est l’amant de demain et un vendeur de chansonnettes, Karhaber Shavidze passe du mari au rôle secondaire de Talpa, avec la même conviction, Khatouna Gadelia lance ses aigus lumineux en soprano des coulisses puis en ingénue amoureuse. Mention spéciale pour Rudy Park, ténor coréen, qui n’apparaît que pour défendre le Luigi puccinien, le soupirant passionné de Giorgetta. La puissance de son timbre décrocherait la lune et son jeu habité fait trembler les cœurs.

Descendu de Nancy où il est directeur musical de l’Opéra National de Lorraine, Rani Calderon dirige ici l’Orchestre national de Montpellier Languedoc Roussillon avec l’énergie et les subtilités qu’on lui connaît depuis longtemps. Rythme soutenu, souplesse, adéquation et respect des différences de style de Weill à Puccini, il fait résonner les particularités de chacun d’eux avec le même punch. Quitte à parfois couvrir les voix. Un détail de première qui a dû être réglé..

Royal Palace de Kurt Weill/Il Tabarro de Puccini, orchestre national Montpellier Languedoc Roussillon, direction Rani Calderon, chœur de l’Opéra de Montpellier, chef de chœur Noëlle Geny, conception mise en scène et vidéo Marie-Eve Signeyrole, décors et vidéo Fabien Teigné, costumes Yashi, lumières Philippe Berthomé . Avec Kelebogile Besong, Ilya Silchukov, Florian Cafiero, Karhaber Shavidze, Till Fichner, Rudy Park…

Montpellier – Opéra Comédie les 10, 14 & 16 juin à 20h – le 12 à 15h
04 67 60 19 99 – www.opera-orchestre-montpellier.fr

Photos Marc Ginot

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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