Critique – Opéra & Classique

L’HIRONDELLE INATTENDUE de Simon Laks et L’ENFANT ET LES SORTILEGES de Maurice Ravel

Un doublé aux saveurs inexplorées

L'HIRONDELLE INATTENDUE de Simon Laks et L'ENFANT ET LES SORTILEGES de Maurice Ravel

Une œuvre inconnue, une œuvre super connue, une création totale, une reprise. L’Opéra de Montpellier juxtapose deux opéras qui au départ n’ont rien en commun et qui à l’arrivée se complètent et s’harmonisent en fantaisie et en musique. L’Hirondelle Inattendue de Simon Laks (1901-1983) et l’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel (1875-1937), composés à 40 ans d’intervalle, se retrouvent côte à côte entre rêve et enfance.

La plus attendue est bien évidemment cette Hirondelle si mystérieuse d’un compositeur quasi inconnu. Née en 1965 d’une alliance entre le musicien polonais Simon Laks et le poète, romancier, l’homme de radio Claude Aveline, auteur d’un Bestiaire inattendu, l’étrange volatile ne prit son envol que dix ans plus tard à Varsovie pour un unique enregistrement pour la télévision. Une version de concert fut produite en 2009 à Marseille dans le cadre des « Musiques Interdites », une seule version scénique fut représentée en 2014 au cours du festival estival autrichien de Bregenz.

La création à Montpellier est donc une première qui secoue à plus d’un titre. Par sa musique, familière et étrange. Par son langage où les non-dits susurrent à l’oreille. Par sa philosophie de survivant. Par sa vie….

Un compositeur introuvable

Qui était Simon Laks né à Varsovie en 1901, mort à Paris en 1983 ? Un compositeur introuvable. Absent du Larousse de la Musique et des encyclopédies ordinaires. Un étranger, quelqu’un qui n’est jamais tout à fait chez lui. Parce que né juif en Pologne, parce que polonais à Paris où il s’installe en 1926. Il y fréquente le Conservatoire, étudie avec Nadia Boulanger. Il devient le compagnon ordinaire des grandes figures de la musique de ces années 20 et 30, Vlado Perlemuter, le Quatuor Roth, le Groupe des Six. Et Ravel, son aîné, dont il aime décortiquer les partitions. Il participe à la création de l’Association des Jeunes Musiciens Polonais, il compose sonates et quatuors qui sont joués avec succès. A 40 ans il est prêt à prendre son envol, trouver sa place. Mais la deuxième guerre mondiale a commencé et le gouvernement de Vichy n’aime pas les juifs, surtout ceux venus d’ailleurs. Laks est arrêté, déporté en France puis à Auschwitz. Il y est le numéro 49543, il parle six langues, joue du violon et devient le chef de l’orchestre de Birkenau. En 1945, il émerge de l’enfer. La vie reprend, et la musique, et l’écriture. Les années passées dans l’innommable posent leur sceau, entre autres, sur Musique d’un autre monde son témoignage (1948, préface de Georges Duhamel, prix Vérité). Des mots, des notes pour« Huit chants populaires juifs », « Poème » pour violon et orchestre (1950) « Elégies pour les villages juifs » (1961).

Mais il reste en marge. Il n’est pas à la mode de ces années où les musiques nouvelles sont dominées par le sérialisme et le dodécaphonisme auxquels il n’a jamais adhéré. Sa modernité se conjugue sur des dissonances ludiques jazzy, swing et populaires. Comme cette Hirondelle du Faubourg de 1912, fredonnée sur un mélo larme à l’œil et une mélodie en trois temps qui une fois entendue continue de valser dans la tête.

En 1965 Simon Laks en fait son unique opéra. Un opéra-bouffe. C’est le temps des découvertes interplanétaires. Sa trame : un journaliste est chargé de faire un reportage dans le cosmos. La fusée qui l’emporte avec son pilote atterrit en urgence sur une drôle de planète où vivent de drôles d’animaux, tous issus des littératures, des contes, des histoires dans l’Histoire, ils s’en vantent, ils se disent « des célébrités dont le nom est toujours cité », les Oies du Capitole, le Chien de Baskerville, les petits Rats de l’opéra ou la Truite de Schubert… Gros émoi dans la population à poils et à plumes : une nouvelle venue d’espèce inconnue demande l’asile. Elle n’est ni bête, ni être humain même si elle ressemble à une femme et qu’elle pleure. Elle n’est qu’une chanson… Laks donne ses lettres de noblesse à un refrain des rues.

Des animaux sans identités

La mise en scène de Sandra Pocceschi démarre sur des images des actualités de ces années soixante tandis que l’Hirondelle est fredonnée a capella, puis elle les enchaîne sur les premiers cosmonautes. Deux d’entre eux se matérialisent, débarquent : l’opéra peut commencer. Souci d’économie ou attachement au symbolisme ? Sur la planète de la réalisatrice, les animaux n’ont plus d’identité, ils sont tous pareils, visages noirs couronnés d’or émergeant de robes de magistrat écarlates, bordées d’hermine. Les voilà juges d’une candidate dissonante. Seule la musique et les textes en surtitrages permettent de reconnaître la Tortue d’Eschyle (Elodie Méchain), l’Ours de Berne (Julien Véronèse), la Colombe de l’Arche de Noé (Khatouna Gadelia) Procné (Jodie Devos), tous vocalement merveilleusement présents. Et, discernables en direct : le journaliste (Kévin Amiel), le pilote (Régis Mengus) et surtout l’Hirondelle, fragile et émouvante d’Alix le Saux.

On les retrouve après l’entracte dans l’Enfant et les Sortilèges de Ravel, reprise d’une production également mise en scène au printemps dernier par Sandra Pocceschi pour la troupe d’Opéra Junior (voir WT 4529 du 4 mars 2015). La plongée psychanalytique dans le cerveau de l’enfant est toujours de mise avec ses flous, son langage dévié, mais l’ensemble s’est musclé, a joliment muri en frémissements pasticheurs tout à fait « ravéliens ». Belles performances de Ghadouna Gadelia qui joue l’Enfant facétieux, de Jodie Devos passant du Feu au Rossignol et à la Princesse, d’Elodie Méchain embarquée en Mère et en Tasse chinoise. Alix le Saux bondit de la Chauve-Souris à l’Ecureuil, Kévin Amiel se transforme en Théière, en Petit Vieillard et en Rainette, Julien Véronèse fait le Fauteuil et l’Arbre, Régis Mengus sonne les heures de l’Horloge.

A la tête de l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, le très jeune chef allemand David Niemann, 25 ans, dote de poésie fantasque les univers de Simon Laks et de Maurice Ravel avec un égal sens des couleurs, des cadences et
des émotions.

Le pari de Valérie Chevalier, faire découvrir des œuvres et des talents, atteint pleinement son but.

L’Hirondelle Inattendue de Simon Laks, livret de Henri Lemarchand d’après Le Bestiaire Inattendu de Claude Aveline – L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel, livret de Colette. Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, direction David Niemann, chœur Opéra Junior et Jeune Opéra, chefs de chœur Noëlle Geny et Vincent Recolin, mise en scène Sandra Pocceschi, décors et collaboration artistique Giacomo Strada, costumes Cristina Nyffeler, lumières et vidéo Geoffroy Duval. Avec Khatouna Gadelia, Alix Le Saux, Jodie Devos, Elodie Méchain, Kévin Amiel, Régis Mengus, Julien Véronèse, Laurent Sérou, Alexandra Dauphin, Benjamin Guilbaud, Camille Poirier, Elina Bordry, Véronique Parize, Marie-Camille Goiffon, Charles Bonnet...

Montpellier – Opéra Comédie les 18, 19, 22 et 23 décembre à 20h, le 20 à 15h

04 67 60 19 99 - www.opera-orchestre-montpellier.fr

Photos Marc Ginot

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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