Paris, Pépinière théâtre

Rose de Martin Sherman

Prodigieuse Judith !

 Rose de Martin Sherman

De l’auteur américain Martin Sherman on n’a longtemps connu que la pièce Bent, oeuvre très forte sur l’internement des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale. Thierry Harcourt nous révèle un autre texte, Rose, qui est simplement l’histoire et le monologue d’une femme. Mais quelle femme ! Elle incarne presque un siècle, un siècle de femme juive ballottée dans le monde entier et confrontée à l’Histoire comme aux idéologies de l’ère moderne. Issue de son shetl (village) de Russie, cette ashkénaze est prise dans la nasse du ghetto de Varsovie. Elle échappe aux nazis en embarquant sur l’Exodus et en gagnant les Etats-Unis. Là, elle fait un mariage qui ne ressemble pas vraiment à un mariage d’amour, assiste à l’évolution du monde et à la naissance de l’état d’Israël. Sa vie est morne parmi les riches de Miami. Elle n’a plus, avant de rendre le dernier soupir, qu’à crier pour la paix.
A Paris, après que la pièce eut rencontré le succès dans pas mal de capitales, cette femme, Rose, c’est Judith Magre. Cette interprète a l’habitude des difficiles traversés en solitaire mais celle-ci est complexe, passant par les chaos de l’Histoire et divers chocs culturels. Le metteur en scène Thierry Harcourt n’a pas laissé à Judith Magre de possibilités de faux semblant ou le moindre temps de récupération. C’est sur l’intensité et le flux de la confession qu’il a construit une soirée d’une force continue. Assise sur un canapé, l’actrice ne se lève que deux ou trois fois. Pas d’images, d’intermèdes, d’événements placés en parallèle. Une telle difficulté démultiplie la prise en main du rôle. Au lieu de se laisser happer par les douceurs consolatrices du pathétique, Judith Magre bannit l’émotion trop visible et narre le malheur comme un défi. Elle en sourit, elle en rit, elle en fait rire. Telle une victime qui ne montre jamais ses blessures et transforme par le langage ses défaites en victoires, elle repeint le passé et le présent aux couleurs de son amour de la vie. Jamais une plainte, toujours de l’humour, de l’ironie, de l’aplomb, de la pudeur, du courage, de l’élégance dans ce roman noir que l’actrice et le metteur en scène délivrent avec la haine de la haine. Prodigieuse Judith Magre !

Rose de Matin Sherman, traduction de Perrine Moran et Laurent Sillan, mise en scène de Thierry Harcourt, collaboration à la mise en scène de Séphanie Froliger, scénographie et costumes de Patricia Rabourbin, lumières de Jacques Rouveyrollis, assistanat lumière de Jessica Duclos, musique d’Eric Slabiak. Pépinière Théâtre, 19 h, tél. : 01 42 61 44 16. (Durée : 1 h 20).

photo agence Bestimage

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook