Les Fêtes d’Hébé de Rameau à l’Opéra Comique jusqu’au 21 décembre

Rameau à la fête

William Christie et Robert Carsen nous offrent une comédie-ballet où tout n’est que mouvement et couleur.

Rameau à la fête

SI L’ON PART DU PRINCIPE QU’UN OPÉRA-BALLET n’est que prétexte à chant et à danse (on n’ose pas écrire à divertissement, tant le mot est aujourd’hui galvaudé), Les Fêtes d’Hébé remplissent parfaitement leur fonction. Il s’agit là en effet, quatre ans après Les Indes galantes, d’une partition composée d’un prologue et de trois entrées (plutôt que de trois actes, car l’action compte pour fort peu) célébrant successivement la Poésie, la Musique et la Danse, au fil d’arguments on ne peut plus lâches : il y est question d’amours contrariées, d’unions finalement célébrées, de guerriers vainqueurs, de dieux venus goûter les plaisirs terrestres, etc. Le prologue donne le ton : Hébé, chassée de l’Olympe où elle versait le nectar aux dieux, se console en s’écriant, en compagnie de l’Amour, « Volons, volons sur les bords de la Seine ».

Cette injonction, Robert Carsen l’a prise à la lettre pour nous offrir un spectacle qui se déroule en effet au bord du fleuve qui traverse Paris, après un prologue alerte situé dans les salons puis dans la cour de l’Élysée : on y voit, dixit le livret d’Antoine-César Gautier de Montdorge, « Jupiter lui-même / Abandonner le rang suprême / Et parmi les mortels chercher des jours heureux ». Les fauteuils à siège pliant de Paris-Plage au cours de la première entrée, une guerre entre Spartiates et Messéniens devenue rencontre de football au cours de la deuxième, une scène de boîte de nuit suivie d’une excursion en bateau mouche dans la troisième, sont autant de prétextes à images enjouées, le metteur en scène faisant équipe avec le chorégraphe Nicolas Paul pour nous offrir un spectacle allègre du début à la fin, parfaitement réglé, qui se moque joyeusement des travers de notre époque (le téléphone portable, le vélo, le culte du sportif, l’obsession du selfie...). Même s’il est attendu, le décalage produit par le DJ parlant du « son de [son] hautbois » produit un effet comique efficace. C’est d’ailleurs la vertu de ce spectacle qui, s’il n’innove pas en transposant le propos à notre époque et en utilisant toutes les ressources de la danse dont le hip-hop, le fait avec une bonne humeur et une fluidité réjouissantes.

De la grâce

On regrettera seulement que Robert Carsen, dans la dernière entrée, cède à la mode déjà ancienne du spectacle reproduit en direct, via une caméra, sur un grand écran, lieu commun qui étonne de sa part. Il est vrai que ce moment donne l’occasion au personnage multiple incarné par Ana Vieira Leite de s’étoffer un peu et de retrouver, dans son élégante robe rouge fendue, une certaine épaisseur scénique.

Les solistes se prêtent au jeu de bon cœur et avec talent, au premier rang desquels Lea Desandre, qui se déplace avec grâce et danse de manière fort convaincante quand il le faut. On goûte toujours sa voix de mezzo paradoxalement légère, d’une couleur ambrée, sans graves poitrinés, que mène un chant toujours expressif. Son air du début de la deuxième entrée, « Pour rendre à mon hymen », est un beau moment de lyrisme. Marc Mauillon est l’autre vainqueur de la soirée, le timbre clair, le chant agile, toujours entre faux sérieux et vraie drôlerie. Emmanuelle de Negri s’amuse beaucoup à chanter et jouer Hébé, celle par qui l’ouvrage a lieu, et tous les rôles secondaires, à commencer par le Lycurgue de Cyril Auvity et le Tyrtée de Renato Dolcini, participent de la fête.

William Christie fêtera le 19 décembre qui vient ses quatre-vingts ans. À le voir diriger, à entendre la manière dont jubilent le chœur sur la scène et les musiciens dans la fosse, on se dit que le patron des Arts florissants n’a rien perdu de sa fraîcheur, de son énergie, de son bonheur à faire chanter les bassons, à mettre en valeur la musette, à faire sonner les timbales (Marie-Ange Petit fait toujours preuve de la même acuité musicale), à laisser respirer le continuo. Pour sa treizième production à l’Opéra Comique (et la troisième in situ avec Robert Carsen, avec qui il a signé en tout onze spectacles), William Christie emmène son ensemble avec un mélange de science et de légèreté qui enchante.

Hébé est ici à la fête aussi bien parmi les timbres des instruments que parmi les voix des chanteurs et les corps des danseurs. Hébé, c’est-à-dire Rameau, dont l’invention rythmique, le sens toujours renouvelé de la danse et les jeux virevoltants de timbres nous plongent toujours dans une aérienne euphorie.

Illustration : photo Vincent Ponté

Rameau : Les Fêtes d’Hébé. Avec Lea Desandre (Sappho, Iphise, Églé), Emmanuelle de Negri (Hébé, la Naïade), Marc Mauillon (Momus, Mercure), Ana Vieira Leite (l’Amour, le Ruisseau, Une bergère), Renato Dolcini (Hymas, Tyrtée), Ciryl Auvity (le Ruisseau, Lycurgue), Lisandro Abadie (Eurilas, Alcée), Antonin Rondepierre (Thélème), Matthieu Walendzik (le Fleuve). Mise en scène : Robert Carsen ; chorégraphie : Nicolas Paul ; décors et costumes : Gideon Davey ; lumières : Robert Carsen et Peter van Praet ; vidéo : Renaud Rubiano. Chœur et orchestre Les Arts florissants, dir. William Christie. Opéra Comique, 15 décembre 2024. Représentations suivantes : les 17, 19 et 21 décembre 2024.
À noter : le 20 décembre à 20h, toujours à l’Opéra Comique, un récital de Lea Desandre en compagnie du luthiste Thomas Dunford sur le thème « L’amour du chant ».

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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