Phèdre de Sénèque

L’épure au détriment du sens du tragique

Phèdre de Sénèque

Hippolyte déboule sur scène tel le Tarzan de Weissmuller, musculeux, vêtu d’une petite culotte noire qui évoque davantage l’homme de la jungle que le héros antique. Étrange entrée en scène pour nous dire que le jeune homme impétueux est un guerrier, un chasseur, un homme des bois qui veut vivre loin des hommes au plus près de la nature à laquelle le stoïcien Sénèque (Ier siècle av. J.-C.) accorde une place importante dans toutes ses dimensions, beauté et sauvagerie.
On connaît l’histoire de Phèdre, fille de Minos et de Pasiphae, sœur d’Ariane, seconde épouse de Thésée qui vainquit le Minotaure, père d’Hippolyte dont Phèdre est la belle-mère. Quelques siècles plus tard, Racine ne retiendra pas le contexte développé par le philosophe romain ni son point de vue sur Phèdre pour resserrer son propos sur la passion amoureuse, dévastatrice et la puissance du destin.
Intraitable avec les femmes, Sénèque, par la voix du chœur, plaint plutôt les riches que les pauvres : la foudre s’abat volontiers sur les grands de ce monde et épargne toujours les pauvres qui coulent des jours tranquilles dans leurs petites vies anonymes (la nourrice dira le contraire). Il n’accorde aucune excuse à Phèdre, adultérine et incestueuse, inconséquente et faible pour qui seule comptent la volupté du luxe et l’amour ("Mon roi est l’amour"), traits de caractère qui expliqueraient la chaise longue dans laquelle s’abandonne mollement Astrid Bas dans un kimono fleuri sexy.
La mise en scène de Lavaudant revendique l’épure, un choix très maîtrisé mais la démarche va un peu loin et s’avère souvent réductrice. Les costumes noirs s’effacent dans la pénombre du plateau nu, les visages sont éclairés d’une lumière tranchante, sur un écran s’agitent les ombres de l’au-delà. Le chœur évacué, subsiste sous la forme de quelques phrases projetées.
Heureusement, Bénédicte Guilbert (la nourrice) et Mathurin Voltz (le messager) réveillent le sens du tragique. La nourrice est l’inverse de Phèdre. Sa posture est fière sans arrogance, le ton est ferme. Cette femme qui a les pieds sur terre a parfaitement analysé la situation et morigène Phèdre avec ardeur pour la ramener à la raison, à son statut de reine. En vain, elle la met en garde contre le farouche Hippolyte et sa détestation du sexe féminin. Bénédicte Guilbert, qui n’a pas l’âge du rôle, loin s’en faut, est impressionnante ; elle incarne le personnage tragique avec autorité et rigueur.
À l’acte IV, le messager tétanisé, raconte l’horreur de la fin d’Hippolyte sur les instances de Thésée. Le comédien se tient aux côtés de Thésée (Aurélien Recoing) sidéré par la nouvelle de la trahison de Phèdre et par ce qu’il pressent de pire. Parfaitement immobile, impassible en apparence, il fait de son mieux pour protéger Thésée, se protéger lui-même du déferlement sauvage des mots qui sortent de sa bouche sur un ton neutre. Il est captivant. Il s’adresse au public, à Thésée, à moins qu’il raconte pour lui-même l’indicible séquence proprement fantastique, peuplée de monstres sanguinaires tel ce taureau colossal qui engloutit les vaisseaux et qui va laisser le bel Hippolyte démembré, pulvérisé par la douleur.

Phèdre de Sénèque. Traduction, Frédéric Boyer. Mise en scène, Georges Lavaudant. Avec Astrid Bas, Bénédicte Guilbert, Aurélien Recoing, Maxime Taffanel, Mathurin Voltz. Lumières, Georges Lavaudant, Cristobal Castillo-Mora. Chorégraphie, Jean-Claude Gallota. Son, Jean-Louis Imbert. A Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet jusqu’au 22 octobre 2023. Durée :1h10. Résa : 01 53 05 19 19.
© Marie Clauzade

Tournée
Jeudi 9 novembre
Théâtre Edwige Feuillère à Vesoul
Mardi 14 novembre
Radiant-Bellevue (Caluire-et-Cuire)
Mardi 28 novembre
Théâtre de St-Malo
Vendredi 1er décembre
Théâtre de Vienne
Mardi 5 décembre
Dôme (Albertville)

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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