Les vingt ans des Siècles
Pour fêter les vingt ans de l’orchestre qu’il a fondé, François-Xavier Roth a conçu un programme d’œuvres exclusivement composées par des musiciens français.
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- 11 janvier 2023
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L’UNE DES CARACTÉRISTIQUES DES SIÈCLES, on le sait, est de voyager allègrement d’une époque à l’autre, d’un style à l’autre, en utilisant toujours l’instrumentarium et en s’efforçant de retrouver le style ad hoc de chaque répertoire. Pour le concert destiné à fêter le vingtième anniversaire de l’orchestre qu’il a fondé cependant, François-Xavier Roth n’a pas choisi de marier Schönberg à Rameau : il s’est concentré sur la musique d’un pays, la France, et sur une époque, celle qui fait la bascule du XIXe au XXe siècle.
Pour interpréter cette musique, Les Siècles font logiquement appel à des instruments de la fin du XIXe siècle, tels qu’on a pu les entendre au Théâtre des Champs-Élysées à partir de 1913, année de l’inauguration de cette salle magnifique. Un ensemble instrumental n’est rien cependant si l’esprit de la musique et sa respiration en sont absents. Et l’on n’est pas étonné de retrouver, avec Les Siècles, quelque chose qui participe ainsi du parfum même de la musique. Depuis ses interprétations mémorables des ballets de Stravinsky et des grandes œuvres de Berlioz, pour ne citer que deux exemples, l’orchestre réuni par François-Xavier Roth s’est forgé une personnalité faite à la fois de souplesse et d’énergie. Qualités qu’on retrouve sans surprise dans le Prélude à L’Après-midi d’un faune qui ouvre le concert et dans La Valse qui le clôt, belle comme un film de Lubitsch, après un mémorable Apprenti sorcier.
On est heureux également, lors de cette soirée, de renouer avec des pages rarement données à entendre. Cette Première Suite du ballet Namouna de Lalo par exemple, avec ses crescendos étonnants, ses couleurs inquiétantes et sa Fête foraine finale, presque frénétique. Ou cette Seconde Suite de Bacchus et Ariane de Roussel, qui était autrefois régulièrement inscrite à l’affiche des concerts et dont François-Xavier Roth restitue idéalement la fièvre, la sensualité, l’instabilité. La disposition des instruments (les violons 1 et 2 sont de part et d’autre du chef, les contrebasses sont en ligne tout au fond, les percussions ne sont pas isolées) fait qu’on surprend des détails inédits : telle phrase de harpe, tels pizzicati éloquents des contrebasses, précisément. La précision des entrées, le luxe des dynamiques, les cuivres très assurés, plus souverains que dans le précédent concert des Siècles consacré à la musique viennoise, les bassons et le contrebasson à la fête dans L’Apprenti sorcier, voilà qui nous comble.
Les Scènes alsaciennes, malgré le soin apporté à leur restitution (une cloche, des fanfares et des tambours dans les hauteurs, derrière le public), semblent plus anecdotiques ; nous sommes en 1882, l’Alsace est devenue allemande, et la musique de Massenet a quelque chose d’un peu démonstratif. Mais l’ensemble du programme, très exigeant pour les instrumentistes, fait honneur à une formation et à un chef qui, à vingt ans, sont loin d’avoir dit leur dernier mot.
Illustration : Édouard Lalo photographié par Pierre Petit (BnF)
Debussy : Prélude à L’Après-midi d’un faune – Lalo : Namouna, suite n° 1 – Roussel : Bacchus et Ariane, suite n° 2 – Massenet : Scènes alsaciennes – Dukas : L’Apprenti sorcier – Ravel : La Valse. Les Siècles, dir. François-Xavier Roth. Théâtre des Champs-Élysées, 10 janvier 2023.