À Vienne avec Les Siècles

François-Xavier Roth emmène son orchestre au pays de Schönberg, Mahler et Berg.

À Vienne avec Les Siècles

L’ORCHESTRE LES SIÈCLES EST EN RÉSIDENCE au Théâtre des Champs-Élysées. Après un concert réunissant les trois ballets composés par Stravinsky de 1910 à 1913, le 30 septembre dernier, il nous offre un programme viennois, toujours sous la direction de François-Xavier Roth. Et utilise bien sûr, c’est l’une de ses marques de fabrique, des instruments ad hoc, issus en l’occurrence de la facture allemande et autrichienne du début du XXe siècle.

Verklärte Nacht (« La Nuit transfigurée ») ouvre les festivités. D’abord écrite pour sextuor en 1899, cette page fut arrangée pour orchestre à cordes en 1917, avec une ultime révision en 1943. Fiévreuse, lyrique, cette vaste coulée de trente minutes repose sur un poème de Richard Dehmel mais peut évidemment être écoutée pour elle-même, pour ses climats changeants, pour ses harmonies qui rappellent Wagner plus que Brahms mais sont déjà saturées de cette incertitude qui donne sa sublime angoisse à l’art de Schönberg. Les instrumentistes des Siècles excellent dans cette musique miroitante ; François-Xavier Roth creuse les basses, fait entendre des pizzicati d’altos affolés, maîtrise tout ce qu’il y a d’instable, non seulement d’une section à l’autre, mais au sein même d’un épisode ou d’une phrase, les premiers et les seconds violons se répondant idéalement de part et d’autre du chef.

C’est aussi une œuvre de relative jeunesse qui nous est offerte avec les Sieben frühe Lieder (« Sept lieder de jeunesse ») composés par Alban Berg avant 1908 et orchestrés vingt ans plus tard : une orchestration d’une grande délicatesse, quand bien même elle ferait intervenir trombone et contrebasson. L’auteur de Wozzeck sait très bien ce qu’il fait en dosant les timbres et les dynamiques, et l’entrelacs des instruments berce d’une manière vénéneuse la voix. C’est ici celle de Patricia Petibon, dont le volume paraît réduit (si on le compare par exemple à celui de Chen Reiss dans la même œuvre, lors du concert donné le 12 mars 2021 avec l’Orchestre national de France dirigé par Daniele Gatti), même si la chanteuse exprime et paraît éprouver les effets du délicieux poison que contient cette musique sensuelle entre toutes. Le tout début de sa « Liebesode  » en est un exemple énigmatique, troublant, et nous fait entendre le Berg qui sera le compositeur de Lulu. Mais son « Nachtigall  » manque un peu d’envol et l’exaltation finale sur le mot « Nacht », dans « Traumgekront  », a quelque chose de voilé qui en gomme l’exaltation.

Les sept contrebasses

Berg, qui fut l’élève et l’ami de Schönberg, éprouvait de l’amour pour certaines symphonies de Mahler, notamment la Neuvième et la Sixième (« la seule Sixième, disait-il, malgré la Pastorale »). Mais c’est la Première Symphonie que François-Xavier Roth a inscrite à ce programme – la Première Symphonie et non pas le poème symphonique en cinq mouvements intitulé Titan, version originale qu’il avait dirigée et enregistrée il y a quatre ans, même si l’usage veut que ce titre continue d’être employé pour désigner la symphonie. On a cité la facture des instruments, qui réservent quelques surprises, mais leur disposition sur la scène n’est pas laissée au hasard : pour aborder au mieux la symphonie, les sept contrebasses sont installées en ligne, tout au fond de l’orchestre. Et c’est le pupitre entier, à l’encontre de ce qu’on attend, qui aborde le début du troisième mouvement, lequel, peu à peu, gagne une ampleur imprévue et installe un climat nostalgique inédit. Avec le deuxième mouvement, idéalement bousculé puis balancé, c’est là le meilleur moment de la symphonie telle que la conçoit François-Xavier Roth – à qui les musiciens ne manquent pas, à la fin du concert, de célébrer l’anniversaire. Le patron des Siècles a dépassé l’âge qu’a atteint Mahler, disparu prématurément. On est prêt à vivre encore avec lui plus d’une aventure !

Illustration : Patricia Petibon (Marchreich Artists)

Schönberg : La Nuit transfigurée ; Berg : Sept Lieder de jeunesse ; Mahler : Symphonie n° 1 « Titan ». Patricia Petibon, soprano ; Les Siècles, dir. François-Xavier Roth. Théâtre des Champs-Élysées, 6 novembre 2022.
Prochains concerts des Siècles au Théâtre des Champs-Élysées : le 21 novembre avec Julie Fuchs, dir. Kati Debretzeni (Mozart) ; le 4 décembre (Saint-Saëns, Grieg) ; le 10 janvier, dir. François-Xavier Roth (Lalo, Debussy, Ravel, Dukas, Roussel, Massenet) ; du 10 au 19 mars, dir. François-Xavier Roth (Le Rossignol de Stravinsky, Les Mamelles de Tiresias de Poulenc) ; le 18 mars, dir. François-Xavier Roth (Shéhérazade de Rimski-Korsakov, Petrouchka de Stravinsky) ; le 15 mai, dir. François-Xavier Roth (Le Vaisseau fantôme de Wagner).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook