Opéra National de Paris – Bastille jusqu’au 24 novembre 2010

Les Noces de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart

Résurrection d’une production qui défie le temps et les modes

Les Noces de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart

En début de saison, l’annonce de la reprise, ou plutôt de la réédition, de la mise en scène des Noces de Figaro de Mozart par le mythique Giorgio Strehler avait laissé sceptique. A la redécouvrir dans les ocres et les ombres des décors d’Ezio Frigerio, la vivacité retrouvée de ses interprètes, les chatoiements de sa sublime musique, on reste sous le charme. Suranné peut-être, nostalgique sans doute, irrésistible sûrement.

Nicolas Joël, le directeur de l’Opéra National de Paris, voulait, semblait-il, à la fois classer en répertoire une mise en scène au même titre qu’une œuvre, et rendre hommage à son prédécesseur Rolf Liebermann qui aurait eu cent ans d’âge cette année et qui fut le commanditaire de cette production devenue légendaire. Née en 1973 à l’Opéra Royal de Versailles, elle connut sa consécration au Palais Garnier dans l’éblouissement sonore et visuels d’un casting qui réunissait autour des maestros Solti et Mackerras, les magnifiques, irremplacés Tom Krause, Gundula Janowitz, Margaret Price, José Van Dam, Mirella Freni, Frederica Von Stade et Teresa Berganza…. On en rêve encore…

Les reprises se succédèrent au Palais Garnier saison par saison jusqu’en 1983. Suivies par sept années d’éclipse jusqu’au transfert et au réaménagement des décors dans l’espace du vaisseau Bastille. On perdit la chaleur de l’intime, la magie d’une vraie forme de perfection, mais la beauté de l’ensemble continuait d’agir. Jusqu’à ce que Gérard Mortier, nouvellement nommé à la tête de la grande maison décide d’en finir une fois pour toutes et fit brûler les décors. D’autres Noces suivirent signées par l’iconoclaste Christoph Marthaler, effrontées, chamboulées, chahutées ( voir http://www.webthea.com/actualites/?Les-Noces-de-Figaro,885 ). Un travail en clin d’œil qui ne fera pas date et ne laissera pas de traces.

Recoller les morceaux ou les cendres

Il fallut donc pour cette nouvelle présentation recoller, si l’on peut dire, les morceaux ou les cendres. La Scala de Milan avait heureusement gardé les décors de sa propre production, ils furent importés, réajustés aux dimensions de Bastille (mais pourquoi diable ne pas avoir essayé de les mettre aux dimensions de Garnier ?) et les voilà, un peu flottants entre cour et jardin mais à nouveau fonctionnels.

Au premier acte, teinté de grisaille, le « débarras », la grande pièce vide censée devenir la chambre des nouveaux mariés donne une impression de banalité. Qui s’estompe heureusement au fur et à mesure que les lieux se transforment. La chambre de la comtesse en camaïeux rose et or, la superbe enfilade en perspective du troisième acte, enfin les bleus nuit du parc des rendez-vous filoutés qui clôturent en mélancolie et en gags joyeux cette folle journée chronométrée par Beaumarchais et dont Mozart et da Ponte tirèrent le chef d’œuvre dont on ne lasse pas.

Du rythme et de l’humour

Belle surprise : on craignait l’absence de direction d’acteurs ressentie lors de précédentes reprises mais cette fois Humbert Camerlo qui a repris les rênes de la mise en scène après la mort du maître en 1997, ne s’est plus contenté d’une simple mise en place. Sans atteindre la finesse de Strehler, sa façon de fouiller les âmes de ses comédiens-chanteurs, il leur imprime du rythme et de l’humour. Tant et si bien que Ludovic Tézier, notre beau baryton souvent si raide, y incarne un Almaviva flexible, coquin, amusé, amusant. Le Figaro de Luca Pisaroni, toujours juste, a de l’entregent et un jeu délié, Suzanne par la soprano russe Ekaterina Siurina offre un concentré d’espièglerie sur un timbre vif argent, Cherubino n’a pas trouvé en Karine Deshayes l’idéal androgyne qui fait basculer le coeur des dames, la voix, le jeu sont timides, presque en retrait du personnage, la comtesse de Barbara Frittoli laisse elle aussi un peu sur la faim. Mal à l’aise durant les deux premiers actes, elle finit pourtant par imposer et sa voix et son personnage jusqu’au final presque parfait.

C’est Philippe Jordan, le jeune directeur musical nommé par Nicolas Joël qui entraîne le toujours superbe orchestre de l’Opéra National de Paris dans ce royaume mozartien à nul autre pareil. Il le fait sans hâte et sans tempi caracolant mais toujours en finesse, aussi attentif à la scène qu’à la fosse. Il sert Mozart mais ne s’en sert pas. Humble en quelque sorte et merveilleusement efficace.

En complément d’hommage, le programme édité à l’occasion de cette résurrection est d’une richesse exceptionnelle, tant sur le plan des illustrations que sur celui des textes, historiques et commentaires. De plus, une exposition consacrée à Rolf Liebermann sera visible sur les cimaises de la bibliothèque-musée de l’Opéra du 14 décembre au 13 mars prochains.

A noter : le 3 novembre à 30h35, on pourra voir sur France3 la retransmission en direct de cette production qui défie le temps et les modes.

Les Noces de Figaro/Le Nozze di Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte d’après Le Mariage de Figaro de Beaumarchais. Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan, mise en scène et lumières de Giorgio Strehler réalisées par Humbert Camerlo, décors et costumes de Ezio Frigerio. Avec Ludovic Tézier (en alternance avec Dalibor Jenis), Barbara Frittoli, Ekaterina Siurina, Luca Pisaroni, Karine Deshayes, Ann Murray, Robert lloyd, Robin Leggate, Antoine Normand, Christina Tréguier, Maria Virginia Savastano, Olivia Doray, Carol Garcia .

Opéra Bastille, les 26, 28 octobre, 3, 6, 9, 11, 15, 18, 24 novembre à 19h30, les 31 octobre et 21 novembre à 14h30.

08 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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