Le décès de Micheline Rozan

Disparition d’une grande dame à qui le théâtre doit beaucoup

Le décès de Micheline Rozan

Si les moins de vingt ans ne peuvent peut-être pas le connaître, le nom de Micheline Rozan reste à jamais attaché à beaucoup de nos belles heures de théâtre comme à la mise sur orbite de cette constellation « d’étoiles » que furent Marie Bell, Jeanne Moreau, Maria Casarès, Annie Girardot, Delphine Seyrig.
Pour elle, tout commence au sein d’une association culturelle universitaire, le COPAR, où elle organise des rencontres sur les thèmes du théâtre, du cinéma, de la presse, de l’architecture et pour les animer ne craint pas de faire appel au gratin du moment. Déjà, à 19 ans, sa force de conviction opère. C’est ainsi qu’y participeront pour le théâtre, André Barsacq, Fernand Ledoux, Pierre Dux ou encore Paolo Grassi du Piccolo teatro de Milan. En 1951, lors d’une de ces sessions, elle rencontre Jean Vilar qu’elle décide de rejoindre dès sa nomination, en 1952, à la tête du TNP. Chaillot sera son atelier d’apprentissage où se forgent ses connaissances de tous les rouages administratifs, et se trempe son désir de se mettre au service des artistes. Après avoir été adjointe de l’administrateur Jean Rouvet, elle est chargée du secrétariat général, vaste domaine qui englobe non seulement les relations avec les cabinets ministériels et la presse, mais aussi, celles, primordiales aux yeux de Vilar, du public, et occasion pour elle d’inventer les « avant-premières ». Une pratique courante aujourd’hui, mais alors, totalement inédite et novatrice.
Après cinq ans passés au TNP, elle décide d’aborder le secteur privé et avant de créer sa propre entreprise, fait un tour par CIMURA qui est alors une des plus grandes agences artistiques et à ce titre on lui devra, entre autre, le triomphe à l’Athénée de Cher Menteur avec Pierre Brasseur et Maria Casarès, Les Possédés de Dostoïevski dans l’adaptation et la mise en scène d’Albert Camus qui l’appelait « mon agent très spécial » et avec qui elle avait également élaboré et mis sur pied la création d’un théâtre d’auteurs contemporains . Près de naître, le projet sera interrompu par la mort tragique de l’auteur.
En 1957, la présentation au Théâtre Antoine de Vu du pont d’Arthur Miller avec Raf Vallone sera – sans que ni l’un ni l’autre ne le sache encore - le premier tour de piste du tandem singulier que formeront plus tard, et pendant des décennies, Peter Brook et Micheline Rozan. En tant qu’agent et pour lui, elle sera à la manœuvre pour la réalisation du film Moderato Cantabile de Marguerite Duras, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo, de la création au Théâtre du Gymnase de la pièce de Genet Le Balcon . Elle sera aussi la productrice de spectacles d’autres artistes. En dresser la liste serait fastidieux. Retenons cependant, La Reine verte de Maurice Béjart sur une musique de Pierre Henry avec Maria Casarès et Jean Babilée, ou encore L’aide-Mémoire , la première pièce de Jean-Claude Carrière avec Delphine Seyrig et Henri Garcin. Ils sont, chacun à leur manière, emblématiques de méthodes productrices qui allient le risque et la popularité. Pour Micheline Rozan, s’occuper des artistes, les défendre, c’est aussi faire en sorte, quitte à les bousculer, que leur talent ou leurs œuvres rencontrent le plus large public.
Femme perspicace et au caractère bien trempé, elle ne s’embarrassait guère de formalités pour donner son opinion, dire ce qu’elle avait à dire. Ce que confirme Peter Brook si l’on en croit un entretien accordé en 1995 à l’un de nos confrères du Monde et au cours duquel il relate sa première rencontre avec Micheline Rozan, « Elle parlait avec franchise, était très dure et lucide à la fois. Elle m’a rappelé que ma première mise en scène en France, La Chatte sur un toit brûlant , n’avait été qu’un succès relatif et que mes débuts français restaient à faire. Cette honnêteté, cette franchise si rare dans notre métier m’a plu ». Aussi, c’est à elle qu’il fait appel pour fonder le Centre International de Recherches Théâtrales, première étape d’une collaboration étroite qui aboutira en 1974 à la réouverture du Théâtre des Bouffes du Nord qu’elle codirige jusqu’en 1997. Un départ bref, pour prendre du recul, avant de retrouver en toute complicité, Peter Brook. C’est ensemble qu’ils passeront la main en 2010 aux actuels directeurs Olivier Manteï et Olivier Poubelle.
Sous l’ironie parfois mordante et ses airs brusques, Micheline Rozan dure en affaires, généreuse, attentive et fidèle dans ses amitiés, aura donné toute sa noble réalité au beau métier d’intendante, ce qu’elle fut sans faille et sans mercantilisme. Une espèce plutôt rare de nos jours.
Avec sa disparition c’est un peu un des beaux chapitres de l’histoire du théâtre qui se ferme. Ça ne va pas sans tristesse.

Photo DR

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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