Paris, Théâtre de la Madeleine

Le Fils de Jon Fosse

Au cœur de l’indicible

Le Fils de Jon Fosse

Romancier et dramaturge norvégien, Jon Fosse fut révélé au public français en 1999, à travers la création de Claude Régy pour Quelqu’un va venir. L‘amorce d’un compagnonnage, que le metteur en scène poursuivra avec une adaptation fragmentaire du roman de Fosse, Melancholia I, en 2001, et de sa pièce, Variations sur la mort, en 2003. Plusieurs autres de ses textes ont été représentés sur nos scènes durant ces dernières années en accompagnement d’une large audience internationale, comme récemment par Patrice Chéreau avec Rêves d’automne et Je suis le vent.

Autant de créations qui ont permis d’appréhender et de ressentir la profondeur d’une écriture, dont la portée universelle s’exprime selon son auteur à travers “ un langage qui n‘est pas en premier lieu concerné par la signification, mais qui avant tout est lui-même, un peu comme les pierres et les arbres et les dieux et les hommes, et qui ne signifie qu’en second lieu.”. Il en résulte une forme littéraire singulière, dépouillée et fragmentaire, dont le sens – parfois multiple - se développe à travers le rythme, la sonorité et l’éclatement des mots.

Datée de 1997, cette pièce s’inscrit dans la première partie de l’œuvre de Fosse en portant déjà l’essentiel des thèmes récurrents qui la traversent : angoisse existentiel, éclatement familial, solitude, incommunicabilité et rapport à la mort. Quelque part en Norvège au bord d’un fjord, dans une maison isolée vit un couple marqué par la monotonie des années d’une existence commune. Il fait nuit. L’homme scrute l’extérieur puis lit son journal, la femme tricote. Dialogue : La Mère : Oui il y a de moins en moins de monde/ici. Bientôt il n’y aura sans doute plus/que l’obscurité/ici. Le Père : Oui les vieux meurent/et les jeunes. La Mère : ils s’en vont/Personne ne reste/Il n’y a rien à faire ici/pour les jeunes. Ceux qui le peuvent/ils s’en vont.

Dans cette tonalité, ils révèlent l’absence de leur fils parti depuis six mois et dont ils sont sans nouvelles. Supputations, inquiétudes, attente d’un retour à la fois craint et espéré. Il survient à l’arrivée d’un car, sans lever toutes les zones d’ombres des motivations d’un jeune homme, ayant tenté de trouver un refuge dans la pratique de la musique. Il est accompagné d’un voisin, imbibé d’alcool, qui prétend que le garçon a été en prison. Une allégation qui va provoquer un drame. Le fils repart, ses parents restent seuls. La vie continue, béante d’incertitudes et de ténèbres.

Bien au-delà du constat social qui fait écho, la pièce constitue surtout une plongée sensible dans les profondeurs sombres et contradictoires des sentiments humains. En reflétant, sans charge psychologique, ce qui les anime, les provoque, jusque dans les limites de leurs possibilités d’expressions.

Avec cette pièce, Jacques Lassalle renoue avec l’écriture de l’auteur norvégien dont il avait créé en 2001/2002 au Théâtre Vidy – Lausanne, puis au Théâtre de la Bastille, Un jour en été. Sa mise en scène au réalisme maîtrisé, relève d’une fine orchestration de la partition textuelle de l’auteur. Elle accompagne les infimes variations des mots et organise leur progression en s’attachant à leurs rythmes, dosant les silences – intégrés par Fosse – pour judicieusement faire “entendre ” les paroles en suspension, muettes et révélatrices. Dans un espace-temps crépusculaire adapté aux sonorités et aux résonances de l’œuvre.

Un climat également transmis, sous les délicates variations des lumières de Frank Thévenon, par la scénographie de Jean-Marc Stehlé et de Catherine Rankl, auteure d’une immense toile peinte évocatrice qui semble inspirée par
Lars Hetervig (1830-1902), peintre paysagiste norvégien, qui fut interné à la suite d’une profonde dépression et dont Fosse fit le personnage central de son roman Melancholia I.

Mais l’aboutissement de cette création tient en grande partie dans l’association d’un quatuor de comédiens remarquables, qui apportent dans leurs différents registres une lisibilité prégnante à chacun des personnages. Catherine Hiegel (La Mère), Michel Aumont (Le Père) Jean-Marc Stehlé (Le Voisin), Stanislas Rouquette (Le Fils). Tous, profondément humains, émeuvent ou suscitent l’empathie avec compassion et tendresse.

Le Fils et Quelqu’un va venir sont publiés dans un même volume à L’Arche, dans les traductions françaises de Terje Sinding.

© Dunnera-meas

Le Fils de Jon Fosse, texte français Terje Sinding, mise en scène Jacques Lassalle, avec Michel Aumont, Catherine Hiegel, Stanislas Roquette, Jean-Marc Stehlé. Décor, Jean-Marc Stehlé et Catherine Rankl, costumes Arielle Chanty, lumières Franck Thévenon, son Julien Dauplais. Durée : 1 h 20 Théâtre de la Madeleine – Paris jusqu’au 15 juillet 2012

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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