Critique/Opéra-Classique

LE CID de Jules Massenet

Roberto Alagna, Michel Plasson, étoiles d’un Cid sorti de l’ombre

LE CID de Jules Massenet

Un siècle d’absence ! Le Cid de Jules Massenet (1842-1912), adaptation lyrique de la plus célèbre tragédie de Corneille créée au Palais Garnier en 1885, n’y avait plus été représentée depuis… 1919 ! A peine croyable ! Ce héros si jeune et à l’âme bien née, double joyau de la littérature et de la musique françaises avait quasiment été exclu du plateau de son bercail. Le voilà enfin revenu après un détour par Marseille où la production actuellement à l’affiche fut créée il y a deux ans (voir WT 2852 du 23 juin 2011). Avec la même étoile du chant français pour interpréter l’héroïque amant ferrailleur, l’inusable Roberto Alagna.

L’histoire vraie de Rodrigo Diaz de Vivar, superman du premier millénaire, surnommé el Cid Campeador, a chatouillé l’imagination d’une vraie cohue d’écrivains de toutes sortes, poètes, hommes de théâtre et de musique, en France et ailleurs. La tragédie que Corneille en tira avec ses répliques entrées dans le langage de tous les jours, devenues au fil du temps un véritable dictionnaire de citations : Rodrigue as-tu du cœur, Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie, À moi comte deux mots…Va, je ne te hais point etc, etc…, éclipsa toutes les autres. Le lyrisme de ces alexandrins aériens, ne nécessite il est vrai aucun supplément musical, ils forment une partition à eux seuls, ils se suffisent à eux-mêmes. Plusieurs compositeurs français pourtant n’ont pas résisté à leur attrait, Bizet avec un Don Rodrigue (1873), Debussy avec un Rodrigue et Chimène laissé inachevé surtout Massenet qui conserva les répliques les plus célèbres, à l’exception du très fameux récit de victoire « Sous moi donc, cette troupe s’avance », qui passe à la trappe pour laisser place à quelques tirades fadasses du cru des trois librettistes, D’Ennery, Gallet et Blau . Lesquels en prime et en guise de conclusion, concoctent un happy end non conforme à l’original. Ces faiblesses sont sans doute à l’origine de sa mise au placard.

La finesse de Michel Plasson

Pourtant la musique de Massenet, oscillant entre romantisme et grandiloquence, compte quelques très beaux passages. Mais l’ensemble est d’une densité vertigineuse et il faut le talent, la finesse, la subtile connaissance de la musique française d’un chef comme Michel Plasson pour en canaliser et dompter les couleurs. A la tête de l’orchestre de l’Opéra de Paris, il y réussit si bien qu’il fait oublier la banalité de la mise en scène de Charles Roubaud et son absence de direction d’acteurs.

Pour Roubaud, le Cid se passe dans une Espagne des années 30 du vingtième siècle comme en témoignent le mobilier bourgeois, les robes et les bibis des choristes-figurantes. A chaque acte son décor cossu, intérieur palais, quartier général militaire tapissé de cartes géantes, chambre art déco…, nécessitant chaque fois des longs baisser de rideau - La soldatesque porte des uniformes passe-partout de la même période, si bien que la flamboyante épée censée créer et résoudre tous les problèmes, fait figure de symbole anachronique.

Belles présences, belles voix

A l’exception de Roberto Alagna la distribution marseillaise a heureusement été revue et corrigée par une nouvelle équipe. Des belles présences, des belles voix et pour la plupart une diction impeccable : Nicolas Cavallier, timbre de bronze léger, allure aristo, confère au roi noblesse et humanisme, Paul Gay est un magnifique Don Diègue digne et pudique poussant loin ses graves de père attentif jusqu’à les rendre en fin de parcours carrément bouleversants, Annick Massis couronne sa royale Infante d’aigus lumineux et d’une prestance de grande lignée. Avec Laurent Alvaro parfait Don Gormas ruisselant d’orgueil, on pouvait rêver d’un plateau modèle si Chimène avait eu la chance de trouver elle aussi une interprète crédible. Sonia Ganassi ne l’est pas. Son timbre de mezzo n’est pas sans ressources ni beauté, mais elle manque de grâce avec un jeu rigide passant de la gaucherie à l’hystérie, avec ses aigus ravageurs filant comme des cris, elle peine à faire accepter l’idée que Rodrigue puisse l’aimer à la folie.

Pourtant, bravant vaillamment le sort, Roberto Alagna y parvient. Ténor héroïque à la française, il impose d’emblée son personnage et illumine la scène dès qu’il apparaît, la voix est restée claire et chaleureuse et son élocution toujours exemplaire. Le Campéador de la soirée, c’est bien lui.

Le Cid de Jules Massenet, livret d’Adolphe d’Ennery, Louis Gallet et Edouard Blau d’après la tragédie homonyme de Corneille. Orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Michel Plasson, chef de chœur José Luis Basso, mise en scène Charles Roubaud, décors Emmanuelle Favre, costumes Katia Duflot, lumières Vincio Cheli. Avec Roberto Alagna, Annick Massis, Sonia Ganassi, Nicolas Cavallier, Paul Gay, Laurent Alvaro, Francis Dudziak, Jean-Gabriel Saint Martin, Luca Lombardo, Ugo Rabec.

Palais Garnier, les 27, 30 mars, 2, 6, 9, 15, 18, 21 avril à 19h30, le 12 avril à 14h30
08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35- www.operadeparis.fr

Photos Agathe Poupeney

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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