Critique – Opéra-Classique

LA DAMNATION DE FAUST d’Hector Berlioz

Damnation d’une mise en scène abracadabrantesque

LA DAMNATION DE FAUST d'Hector Berlioz

Record de huées : les débuts à l’Opéra National de Paris du metteur en scène letton Alvis Hermanis signant une Damnation de Faust abracadabrantesque ont fait l’unanimité du rejet. La bronca explosée à l’entracte puis au moment des saluts n’avait jamais atteint un tel niveau sonore dans cette institution pourtant friande de manifestations quand une nouvelle production ose sortir des sentiers battus et rebattus.

Les dérives poétiques de nombreuses nouveautés nées notamment sous la direction du regretté Gérard Mortier en ont souvent fait les frais, engendrant, les soirs de premières, des chahuts divisant les spectateurs entre conquis et réfractaires. Un grand nombre de ces nouveautés sont devenues des classiques et la récente ovation faite au dérangeant Krzysztof Warlikowski pour Le Château de Barbe Bleue et La Voix Humaine signait la reconnaissance collective de son talent. (voir WT 4889)

Mais pour cette Damnation de Faust tant attendue par sa distribution étoilée - avec en tête le ténor star Jonas Kaufmann - le choc fut rude ! Chef d’œuvre hybride tenant autant de l’opéra que de l’oratorio, ce « Concert en huit scènes » ou « Légende Dramatique » inspiré de Goethe exigea de Berlioz (1803-1869) 26 ans de travail et de remaniements divers. Sa création en 1826 à l’Opéra Comique fut un échec douloureux. Qui engendra une réputation d’opéra injouable. Certains le contournèrent avec inspiration comme Luca Ronconi, Olivier Py ou Robert Lepage en 2001 sur cette même scène, ou Roland Aeschlimann à Bruxelles un an plus tard (où était révélé un jeune ténor allemand nommé Jonas Kaufmann !) ou encore Terry Gilliam des Monty Python à Gand et Anvers en 2012 (voir WT 3445). Chacun d’eux abordait l’étrange objet en virages inattendus, voire insolites mais toujours en relation avec les ambiguïtés du mythe faustien et surtout en unisson avec le romantisme bouillonnant de la musique de Berlioz.

Un futur cosmologique, un déluge d’images hétéroclites

Le choix d’Alvis Hermanis se porte sur un futur cosmologique. Le physicien Stephen Hawking, âgé aujourd’hui de 73 ans, y prend la place de Faust, vissé sur la chaise roulante que lui impose la sclérose latérale amyotrophique dont il est atteint. Le philosophe lassé d’une vie de recherche métaphysique devient un scientifique qui projette l’humanité dans un avenir interstellaire. Le premier est un mythe, le second un être vivant de notre temps. On peut s’interroger sur le goût douteux de poser sur une scène la réplique d’un savant renommé atteint d’un handicap moteur réel. Et toujours en vie.

Mais ce n’est pas tout. Un déluge d’images hétéroclites noie à jets continus l’immense écran posé en fond de scène. Le défilé des vidéos emprunte à tout ce qu’une réserve de films documentaires peut prodiguer en chutes inutilisées : images célestes, lunaires et planétaires, Mars toute rouge cédant la place à une fourmilière d’insectes gigotant, à des rats apeurés, des souris blanches, des baleines ventrues, des fœtus de bébés flottants, des méduses, des spermatozoïdes errants, des champs de coquelicots, des volcan cracheurs de feu et même deux escargots simulant une copulation qui déclenche un fou-rire dans la salle… On n’est plus dans une salle de spectacle vivant, mais au cinéma. Hermanis brasse idées et symboles par liasses épaisses sans en faire le tri. Ses intentions que l’on peut deviner ici ou là se chevauchent et s’annulent par leur multiplicité.

Les choristes sont transformés en ouvriers robotisés, le corps de ballets soumis à des trémoussements névrotiques dans des cages de verre et les vrais protagonistes du drame, Faust, Méphisto et Marguerite sont réduits en silhouettes de second plan.

Le défi miraculeusement relevé des interprètes et musiciens

Leurs interprètes, chanteurs recrutés haut de gamme, malgré leurs accoutrements d’une banalité de trottoir, et l’absence totale de direction d’acteur, relèvent le défi et réussissent miraculeusement à leur donner corps et voix.

Star parmi les étoiles, Jonas Kaufmann au nom duquel les places se sont arrachées, semble d’abord un peu perdu en doublure vocale du Faust arrimé à sa chaise roulante. Son timbre si clair, si voluptueux s’affirmait peu à peu le soir de la première, jusqu’à retrouver son ampleur onctueuse et son charisme de beau gosse surdoué, livrant face au public ses « Sans regret j’ai quitté les riantes campagnes » ou « Merci doux crépuscule » qui lui valut une salve d’applaudissements. Le Méphisto en blouse blanche de Bryn Terfel joue sur l’économie des effets diaboliques de son personnage, et c’est tant mieux. Carrure d’athlète, autorité de prof et puissance de graves aux couleurs d’encre, il s’impose sans effort apparent et frôle l’envoûtement dans son offrande « Voici des roses, de cette nuit éclose… ». En dépit d’une méchante robe verte qui la fait ressembler à une marchande de quatre saisons, Sophie Koch conserve de la grâce. Elle est une Marguerite égarée dans un monde hostile et sa voix au phrasé fragile peu à peu s’affermit. Si son « Roi de Thulé  » est célébré avec une sorte de réserve, « D’amour l’ardente flamme », son grand air remplit l’espace d’émotion. Bonnes prestations vocales d’Edwin Crossley Mercer et de Sophie Claisse dans les rôles secondaires de Brander et de la Voix Céleste et performance étonnante de Dominique Mercy danseur de haut vol formé chez Pina Bausch, dans ce Faust handicapé dont il assume l’immobilité habitée.

Malgré le ridicule de leurs costumes et de leur gestuelle, les chœurs comme d’habitude atteignent le niveau d’excellence auquel ils nous ont habitués. Philippe Jordan le magnifique, dans la fosse après avoir servi en force les rutilances berloziennes – parfois au détriment des voix – finit par trouver la juste ardeur de cette musique quasi organique.

Malmené par le visuel, conquis par le sonore, le public exprima sa reconnaissance envers les chanteurs et musiciens avec la même vigueur que son désaveu à l’égard du metteur et de ses associés.

La Damnation de Faust d’Hector Berlioz d’après Goethe traduit par Gérard de Nerval. Orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan, maîtrise des Hauts de Seine et chœur d’enfants de l’Opéra, chef de chœur José Luis Basso, mise en scène et décors Alvis Hermanis, costumes Christine Neumeister, vidéo Katrina Naeiburga, chorégraphie Alla Sigalova. Avec Jonas Kaufmann, Sophie Koch, Bryn Terfel, Edwin Crossley-Mercer, Sophie Claisse et Dominique Mercy .

Opéra Bastille, les 8, 11, 13, 17, 20, 23, 29 décembre à 19h30, le 15 décembre à 20h30, le 27 décembre à 14h30.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • LA DAMNATION DE FAUST d’Hector Berlioz 17 décembre 2015 11:41, par GF

    Je suis surpris par le nombre d’erreurs de votre article sur la Damnation de Faust.
    Ce n’est pas une œuvre entre opéra et oratorio puisque ce n’est ni l’un ni l’autre. Elle n’a pas été crée en 1826 et ne se résume pas à 8 scènes. Les huit scènes sont un projet initial mais pas la version définitive.
    Un peu de sérieux quand même !

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