Edelweiss (France Fascisme) de Sylvain Creuzevault à L’Odéon Berthier dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

Leçon éclairée et tonique de vigilance politique pour nos temps incertains.

Edelweiss (France Fascisme) de Sylvain Creuzevault à L'Odéon Berthier dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.

Le théâtre de Sylvain Creuzevault invente avec ses acteurs et actrices des « grimaces », des figures historiques : écrivains et hommes politiques de l’extrême droite française, de la fin des années 1930 jusqu’à la collaboration et à l’épuration, sauvage puis légale, avant la mort pour certains. Est convoquée sur le plateau une pléiade de sinistres figures : Doriot, Déat, Laval, Rebatet, Brasillach, Céline, Brinon.… Leurs discours, livres, mots, sont les matériaux mêmes du spectacle.

Est épinglé l’épisode que Céline a immortalisé sur un mode grotesque dans D’un château l’autre  : Sigmaringen, ce nid d’aigle en Forêt Noire où avaient fui Pétain et son gouvernement, suivis d’un cortège de collaborateurs déroutés. Un petit monde en panique dans sa fin de partie, « communauté réduite aux caquets » (Rebatet), avec « l’article 75 au cul » (Céline) – l’article 75 étant, dans l’ancien code pénal, celui qui condamne à la peine capitale « tout citoyen français reconnu coupable de trahison et d’intelligence avec l’ennemi », écrit le concepteur scénique.

Après la somptueuse Esthétique de la résistance d’après le roman de Peter Weiss (à voir du 9 au 12 novembre 2023 à la MC93 Bobigny), voici un éclairage sur la résistance allemande pendant le régime nazi, la compagnie s’arrête symétriquement sur le fascisme français dans la même période. « Mais la question ne change pas : en scrutant le fascisme, l’anti-fascisme est exploré – ce qu’il est, ce qu’il peut, et fait, ou pas. Non pas une reconstitution historique, mais une comédie écrite au moment du danger. Maintenant. »

Pour le metteur en scène Sylvain Creuzevault, le retour de l’hypothèse fasciste est d’actualité. Les personnages scéniques - mi-biographiques mi-imaginaires - ne manquent pas de couleur. Lucien Rebatet est le seul survivant de ce compagnonnage avec la collaboration et le fascisme. Pierre Drieu la Rochelle se suicide, Pierre Laval et Robert Brasillach sont condamnés à mort pour intelligence avec l’ennemi. Lucien Rebatet, condamné à la peine capitale, fait des années de prison dès 1945, puis gracié, il reste en France.

Tous sont des « intellectuels » pour le dire rapidement, versés dans le journalisme, l’écriture, la pensée, et qui soutiennent les nazis, envers et contre tout. Le dramaturge Julien Vella note chez eux non pas le ralliement à un parti, mais la hantise de la décadence et la haine des Juifs, des communistes, de la République, de la démocratie, du régime de Vichy…, rêvant d’une France aux avant-postes d’une Europe nationale-socialiste - un requiem fasciste : pouvoir et destruction.

Raisonnements fallacieux - horreur et effroi -, jeux de pouvoir, des tensions et des émotions : les comédiens endossent chacun une galerie de personnages vifs et vivants, en dépit de leurs choix mortifères et nuisibles - marionnettes que des convictions erronées manipulent pour un avenir soit-disant « meilleur ».

Les interprètes excellent dans l’art déclamatoire et gestuel, une succession d’instantanés significatifs - les hommes politiques aux prises avec les appels téléphoniques du temps : Juliette Bialek en journaliste et en ange des Ailes du désir, Valérie Dréville en mère de Rebatet et en journaliste, Vladislav Galard en Drieu la Rochelle ou en ambassadeur d’Allemagne, Pierre-Félix Gravière en Marcel Déat ou en paysan à l’accent du terroir, Arthur Igual en Pierre Laval ou en Léon Blum, Charlotte Issaly en Robert Brasillach, Frédéric Noaille en Jacques Doriot ou en Céline, Lucie Rouxel en Lucien Rebatet.

Des figures complices tristement historiques, qui échangent et s’écoutent via le talent d’acteurs qui veulent en découdre, s’impliquant ici et maintenant dans leur partition - le temps du théâtre.

Un regard efficace de clairvoyance, même s’il est un peu souligné, sur le déraillement manifeste et ostentatoire de certaines idées dans leur agencement et leur articulation, avec le fourvoiement révélé de certains dans leur dignité et leur honneur, mais en même temps, l’observation sûre d’une foi en l’espérance, tel est le miracle scénique quand il résonne de tels enjeux politiques collectifs.

Edelweiss (France Fascisme), texte mise en scène de Sylvain Creuzevault, dramaturgie Julien Vella, lumière Vyara Stefanova, scénographie Jean-Baptiste Bellon, Jeanne Daniel-Nguyen, création musique et son Antonin Rayon, maquillages et perruques Mityl Brimeur, costumes Constant Chiassai-Polin. Avec Juliette Bialek, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille, Lucie Rouxel et Antonin Rayon. Du 21 septembre au 22 octobre 2023, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h, relâche le lundi et le 24 septembre, à L’Odéon Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier 1 rue André Suarès 75017. Tél : 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu Du 28 février au 5 mars 2024 – Théâtre Garonne, scène européenne de Toulouse. Du 12 au 15 mars – Comédie de Saint-Étienne. Les 21 et 22 mars – Bonlieu, scène nationale d’Annecy. Les 27 et 28 mars – L’Empreinte, scène nationale de Brive. Les 30 et 31 mai – Points communs, scène nationale de Cergy-Pontoise.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

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Véronique Hotte

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