De la musique avant toute chose

De la musique, Pierre de Chocqueuse en a « plein la tête », et depuis toujours, qu’elle soit populaire ou savante, découverte par le disque ou vécue dans les coulisses des enregistrements et des concerts. Il nous donne la clef de son univers dans un livre de souvenirs bariolés.

De la musique avant toute chose

« LES ÉTUDES JURIDIQUES MÈNENT À TOUT », affirme Pierre de Chocqueuse. Le rock également. Tel est l’objet de ce livre, qui raconte le parcours d’un adolescent rétif à l’ordre scolaire, balancé d’un collège à une boîte à bac, échoué sur les bancs de la fac de Nanterre, mais épris avant tout de musique comme on pouvait s’en éprendre dans les années 60 et 70, quand l’optimisme et la haine des censures menaient la danse. Les études ennuient ce fils de famille ; organiser des concerts (sous la menace des nervis maoïstes) ou jouer de la batterie lui convient davantage, et plus tard devenir « critique de rock », expression qu’il emploie avec la distance qui convient. De fait, Pierre de Chocqueuse sera rédacteur à Best.

Son livre est modestement sous-titré « Souvenirs » et non pas « Mémoires » (même si chaque chapitre commence par une espèce de sommaire comme le font les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand). Le mouvement de l’Histoire et les découvertes musicales se mêlent ici à des anecdotes personnelles, Pierre de Chocqueuse ne cherchant pas à trouver le sens de tout ce qu’il vit, ne visant à aucun déterminisme, étourdissant parfois le lecteur à force de situations ou de personnages télescopés : il ne s’agit pas de s’attarder mais de repasser le disque parfois rayé des souvenirs, précisément, qui font le parfum d’une époque.

Le prêtre en DS, les Who en 2CV

On y découvre la manière dont un garçon effectue son éducation musicale essentiellement par le disque, volant du Flood de Stravinsky à Porgy and Bess selon Miles Davis via les Doors, des Gnossiennes de Satie* à la musique minimaliste de Terry Riley, plus tard à celle de Philip Glass ou à Millie Jackson. Le disque jouit alors d’un prestige comparable à celui du livre, et de nombreux disquaires exercent passionnément leur métier (Dieu merci, il existe encore aujourd’hui des libraires !), que ce soit à « Intermezzo » ou au « Lido Musique », pour citer deux enseignes parisiennes hélas disparues. C’est l’époque, aussi, où la notion de rédaction, au sein d’un journal, n’a pas encore perdu son sens puisque les différents rédacteurs viennent physiquement apporter leurs papiers (aujourd’hui envoyés par la voie électronique) au siège même des publications auxquelles ils contribuent : au 14, rue Chaptal par exemple, haut-lieu de la rédaction de Jazz Hot.

On croise ici aussi bien le designer Raymond Loewy qu’une vielle châtelaine donnant ses ordres aux occupants allemands (telle Mary Marquet dans le film La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau), un prêtre ganté de blanc au volant d’une DS décapotable ou encore Roger Daltrey, le blond chanteur des Who, trimbalé en 2CV par Pierre de Chocqueuse lui-même, devenu entre-temps attaché de presse chez Polydor. Mais aussi des bourgeois désinvoltes et éclairés laissant à la belle jeunesse leur appartement de la rue Raynouard dans le XVIe appartement de Paris (la rue de Bérénice dans Aurélien d’Aragon !) : on imagine cette fois des profils à la manière de Michael Lonsdale dans Baisers volés de Truffaut... Sans oublier des figures disparues : José Artur, Alain Dister, Claude Villers ou Michel Le Bris qui, parti du jazz et de la gauche prolétarienne, offrit quelques années plus tard une lecture personnelle et superbe du romantisme dans des ouvrages tels que L’Homme aux semelles de vent et Le Paradis perdu.

Les îles grecques plutôt que la musique punk

Au hasard des chapitres, l’auteur met en scène un certain Bob, « très vieille France, attaché aux valeurs archaïques et hypocrites de l’ancien monde ». Soit. Mais qu’est devenu le monde naissant dont le jeune Pierre de Chocqueuse fut le témoin et l’acteur ? Notre temps hélas, quelques décennies plus tard, est devenu celui du retour des interdits, celui de la passion de dénoncer et de punir, celui d’une obsession forcenée de ce qu’on appelle l’appropriation culturelle, antichambre de toutes les excommunications.

Pierre de Chocqueuse a ses passions mais aussi ses phobies : le free jazz un peu, la musique punk beaucoup (« nouveaux barbares », « maladie contagieuse », « âge de pierre », « vide musical »), le nombre 44 également, qui pousse l’éditeur, très prévenant, à ne pas folioter la page quarante-quatre du livre ! Il ne déteste pas l’aventure, apprécie l’hospitalité des îles grecques, mais reste incrédule devant la possible alliance entre l’art et le marxisme : « Je n’ai jamais pu m’intégrer à un groupe, un parti, me lier à un mouvement politique. (…) Seuls les artistes, ces apatrides, trouvaient grâce à mes yeux. »

Curieusement, le livre s’arrête au moment où l’auteur s’apprête à devenir rédacteur en chef de Jazz Hot, dont l’un des collaborateurs s’appelait alors Maurice Cullaz, naguère encore organisateur de concerts à Radio France. Pierre de Chocqueuse a-t-il voulu sagement en rester à ses années de formation ? Il nous rappelle en tout cas, au fil de toutes ces pages, que la nostalgie peut être heureuse, même si elle jette un regard attendri sur les origines d’un monde aujourd’hui bien désenchanté.

* Nous sommes d’accord avec l’auteur pour affirmer qu’il s’agit là de « ses plus belles compositions ».

Pierre de Chocqueuse, De la musique plein la tête, Les Soleils bleus éd., 2021, 259 p., 15 €.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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