Critique – Opéra/Classique

DARDANUS de Jean-Philippe Rameau

Raphaël Pichon et Michel Fau font chanter l’Amour à tire d’ailes

DARDANUS de Jean-Philippe Rameau

Ce Dardanus de Rameau, subtil et fantaisiste qui enchante et amuse, est né de la rencontre d’un homme de musique et d’un homme de théâtre que rien à première vue ne destinait à forger une alliance. Raphaël Pichon, jeune chef d’orchestre épris de musique ancienne, en résidence à l’Opéra National de Bordeaux avec son ensemble Pygmalion et Michel Fau, comédien, metteur en scène, connu pour son lyrisme excentrique manifesté auprès d’hommes de théâtre comme Olivier Py ou Jérôme Deschamps.

Ensemble et en bel accord, ils viennent de larguer sur la scène du Grand Théâtre bordelais, cette tragédie lyrique que Jean-Philippe Rameau (1663-1764) façonna en deux versions à cinq ans d’intervalle. Moins célèbre qu’Hippolyte et Aricie (1733), sa toute première tragédie lyrique, ou ses opéra-ballet comme Les Boréades ou Les Indes Galantes, Dardanus composé en 1739 puis remanié en 1744, fait partie d’un répertoire cher au cœur de Raphaël Pichon. Manifestement il l’aime ce fils de dieu amoureux d’une mortelle, il lui a même consacré un enregistrement en 2011, choisissant pour cette interprétation de concert la deuxième version de 44 où Rameau replace l’intrigue dans un contexte essentiellement humain.

Mais pour la scène, magie et sortilèges de la version de 39 sont des ressorts plus ouverts à l’imagination. Pichon et Fau ont donc opté pour la version originale agrémentée de quelques extraits de la version remaniée. Au prix de petites longueurs qui mettent en fin de parcours le charme de la production un peu au ralenti.

A 31 ans Pichon s’inscrit déjà dans la lignée des grands chefs. Il en a l’intuition, la rigueur, la fidélité aux œuvres qu’il sert. Son enthousiasme est contagieux, et son charisme s’étend jusqu’aux bouts de ses doigts. Il dirige à mains nues, les instrumentistes de son Pygmalion ont les yeux rivés sur ces doigts qui tracent les respirations de la musique. Les ornements baroques de Rameau jaillissent avec fougue, en danses et en vie.

Joyeusement respectueux, joyeusement irrévérencieux

Pichon, joyeusement respectueux s’accorde à Fau joyeusement irrévérencieux.
Comment mettre en images, en mouvements, en sentiments les aventures du fils de Jupiter amouraché d’Iphis, la ravissante enfant de l’orgueilleux Teucer, roi de Phrygie, qui la destine au guerrier Anténor (également entiché de la belle) pour agrandir son royaume ? Sous quelle forme faire apparaître le merveilleux distillé par le magicien Isménor, les monstres envoyés par Jupiter ? On connaît Benjamin Lazar qui, à la lumière de bougies, tente d’en reconstituer l’atmosphère à l’identique. (voir WT 1310, 2555, 3150).

Sans faux pas

Mais Michel Fau récuse la fidélité à la lettre pour lui substituer la fidélité à l’esprit, emporte le tout son monde fou fou fou, ses excès, son baroque barjot fellinien, le grand cinéaste auquel il se réfère. Du kitsch, du rococo à déguster comme des pâtisseries, colonnes à l’antique qui prolongent sur scène celles de la salle, rideaux peuplés de coquelicots, de pivoines et de moutons, nuages joufflus descendant des cintres, couleurs cinglantes, Dardanus rouge, Anténor vert, blanche Iphise. Des plumes sur les crânes, des ailes à bout de bras qui font voler l’Amour, les danseurs, les choristes et un monstre cornu et élastique qui déclenche les rires. Démesure et tendresse la marque de fabrique de Michel Fau s’affiche en formes rondes piquées d’humour.

Sa direction d’acteur met au placard la psychologie et la remplace par un rituel baroque qui fait écho à la direction musicale de Pichon. Ils ont manifestement travaillé ensemble jusqu’au choix des interprètes : les meilleurs ! La pulpeuse soprano canadienne Karina Gauvin est Venus royale et coquine dans sa robe pivoine, la voix en osmose avec les enjolivures baroques, tout comme la sensuelle Katherine Watson, tour à tour Amour, Bergère ou Songe à tire d’ailes. Iphise trouve en Gaëlle Arquez, mezzo toute en franchise et émotion, la parfaite amoureuse rebelle, le timbre clair du jeune ténor belge Renoud Van Mechelen répond à sa passion en un Dardanus de fraîcheur et d’ardeur, en Anténor bravache Florian Sempey, baryton intrépide hérite avec bonheur de l’air « Monstres affreux » dont il fait un petit sommet, la basse argentine Nahuel di Pierro joue de ses graves noir d’encre et de son autorité en Roi Teucer ainsi qu’en Isménor, le magicien. Etienne Bazola, Virgile Ancely, Guillaume Gutiérrez complètent la distribution sans faux pas.

Les ballets chorégraphiés en pointes d’humour - déhanchements modernes et poses baroques - par Christopher Williams démarrent sur un festival d’inventivité qui peu à peu, par leur nombre, se répète jusqu’à leur dernière – inutile ? – intervention.

Après Bordeaux, ce Dardanus de fantaisie charnue sera à découvrir à l’Opéra Royal de Versailles.

… et les amateurs de la verve créative de Michel Fau ne manqueront pas la reprise à l’ Opéra Comique de sa savoureuse mise en scène de la Ciboulette de Reynaldo Hahn (du 28 avril au 7 mai - voir WT 3628)


Dardanus de Jean-Philippe Rameau, livret de Charles Antoine Le Clerc de La Bruère, ensemble chœur et orchestre Pygmalion, direction Raphaël Pichon, mise en scène Michel Fau, costumes David Belugou, lumières Joël Fabing, maquillages et masques Pascale Fau, chorégraphie Christopher Williams. Avec Karina Gauvin, Gaëlle Arquez, Renoud Van Mechelen, Florian Sempey, Nahuel di Pierro, Katherine Watson, Etienne Bazola, Virgile Ancely, Guillaume Gutiérrez.

Grand Théâtre de Bordeaux : du 18 au 26 avril 2015 –
www.opera-bordeaux.com
Opéra Royal de Versailles : les 5 & 6 mai 2015
01 30 83 78 98

Photos Frédéric Desmesure

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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