Création, diffusion et public : l’Île de France, laboratoire paradoxal du spectacle vivant

Jean Claude Pompougnac, Directeur d’Arcadi

Création, diffusion et public : l'Île de France, laboratoire paradoxal du spectacle vivant

La création d’Arcadi, il y a un peu plus d’un an et demi, s’est accompagnée d’une réflexion sur les objectifs de ce nouvel établissement. Quelle est aujourd’hui la politique régionale de l’Île-de-France en matière de spectacle vivant ?

La politique régionale pour le spectacle vivant ne passe pas exclusivement par Arcadi. À l’issue des dernières élections régionales qui sont intervenues quelques mois après la création d’Arcadi début 2004, l’exécutif régional a très vite décidé de développer une politique spécifique conduite directement à partir des services de la Région. Cela nous a conduit à affiner le projet original d’Arcadi.

Aujourd’hui Arcadi a trois grands objectifs.
Un premier objectif est de proposer aux équipes artistiques professionnelles des services d’information, de conseil et d’orientation. À cet effet, nous venons d’ouvrir un Relais information et conseil.

Le deuxième objectif, qui reprend les activités de Thécif et d’Ifob, est un programme d’aide à la création et la diffusion dans le domaine du spectacle vivant. Arcadi intervient en tant que coproducteur. Ce choix de coproduire les spectacles nous donne immédiatement une responsabilité quant à leur diffusion sur le territoire francilien ce qui peut signifier ensuite une diffusion sur le territoire national. La création et la diffusion sont intimement liées.
Concernant le théâtre, nous recevons environ 180 demandes d’aide à la production chaque année et nous avons les moyens d’en aider une quarantaine. C’est justement parce que nous sommes limités dans les moyens que nous pouvons mobiliser dans l’aide à la création et à la diffusion que le Relais information et conseil est ouvert à tous. C’est une juste contrepartie du caractère sélectif de tout dispositif d’aide à la création.

Le troisième objectif consiste à la fois à développer des outils de connaissance de l’environnement social, économique, géographique dans lequel se déploie l’activité artistique et culturelle. Par exemple, nous venons de lancer une enquête sur les besoins des compagnies de théâtre en Ile-de-France et avons donc envoyé un questionnaire à 1500 compagnies de la région. Il est indispensable de mieux les connaître et d’identifier précisément leurs besoins. Dans notre contribution à l’observation culturelle, nous portons un regard plus attentif à l’innovation. Nous souhaitons nous intéresser de manière privilégiée aux personnes qui expérimentent de nouveaux rapports entre les créateurs et les populations, à la présence artistique dans le champ social, dans les quartiers comme dans de nouveaux territoires.
Ces services mutualisés offerts aux équipes artistiques se développeront au fur et à mesure. Nous allons ainsi proposer un répertoire en temps réel des lieux de travail et de répétition disponibles pour les compagnies.

La société évolue et la décentralisation se poursuit. Les politiques et les missions des régions en matière culturelle sont-elles aussi en train d’évoluer ?

En effet, elles évoluent sur la base d’un vieux principe républicain qui est la libre administration des collectivités, en particulier dans les domaines où il n’y a pas de blocs de compétences clairement identifiés par la loi ou par l’organisation administrative.
La tradition en France, en ce qui concerne le spectacle vivant, est que chacun - Etat, région, département, commune ou intercommunalité - est libre de développer, ou pas, ses responsabilités, d’être très timide ou très offensif.

À l’heure actuelle, nous voyons les régions s’engager de manière significative et poursuivre le développement de ce qui existait déjà. Mais il y a toujours cette question liée à la clarification des responsabilités des uns et des autres qui reste posée.

C’est pourquoi le choix de création d’un EPCC (Établissement Public de Coopération Culturelle) par la Région Île-de-France avec comme partenaire l’Etat, en l’occurence la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), est en principe assez prometteur.
Cela permettra de trouver des solutions adaptées à la région en coopération avec l’Etat, dans le cadre d’un véritable dialogue. Je dis “en principe” car en réalité nous en sommes au tout début.

Dans les autres régions, les logiques de développement sont très différentes d’un territoire à l’autre. Il y a notamment une réelle difficulté à choisir entre aider les lieux ou aider les équipes artistiques. Les deux sont légitimes, mais cela ne résout pas la question de la circulation nationale des œuvres et des projets, et c’est cela le vrai problème. Il ne sert à rien d’additionner des politiques régionales. La création artistique n’a pas de frontière administrative : quand un spectacle est intéressant, il n’a pas vocation à être enfermé dans 4 départements. Nous sommes dans un pays qui a des traditions de classification un peu scolaires ; prix d’honneur, prix d’excellence, national, régional, local, etc. Si j’étais à la tête d’une compagnie de théâtre enthousiaste, qui croit en ce qu’elle fait, je n’accepterai pas d’être enfermé dans une dénomination de compagnie régionale qui signifie toujours un peu “deuxième division”.


Parmi les 3 missions dont vous nous avez parlé, vous avez évoqué un relais information et conseil destiné à s’adresser au plus grand nombre. Qu’allons-nous y trouver ?

On y trouve d’abord et avant tout de l’écoute. On y trouve pour le moment deux personnes chargées de prendre en considération toute demande auprès d’Arcadi. Nous sommes aux abonnés présents quelle que soit la question posée. On y trouve une écoute de gens très compétents pour éventuellement diriger le public vers des lieux où il pourra trouver les meilleures réponses.

En général, un centre de ressources, ne distribue pas d’argent pour la création et la diffusion. Et quand un lieu distribue de l’argent pour la création et la diffusion, il ne fait pas d’information et de conseil. Il m’a semblé audacieux et important dans la période actuelle de prendre ce risque. Cela nous oblige, bien entendu, à être particulièrement transparents sur nos procédures d’aide.

Il y a des centaines de compagnies à Paris et en Île-de-France qui cherchent à être soutenues. En théâtre, vous en aidez une quarantaine en qualité de coproducteur. Comment vont se faire les choix ?

Tous les choix, faits par l’établissement et qui vont donner lieu à un engagement financier, sont éclairés par des comités artistiques consultatifs constitués de professionnels. Y siègent notamment des artistes, des diffuseurs et des journalistes. Nous avons un panel d’au minimum 5 personnes : un ou deux directeurs de théâtre, une compagnie, un critique de la discipline concernée, par exemple. Les procédures sont différentes suivant les disciplines et les projets.

Nous menons actuellement un travail de réflexion sur le calendrier de ces comités pour qu’ils soient les plus efficaces possibles. Les moyens budgétaires sont dégagés, une fois que l’on a dit “ce projet est artistiquement intéressant”.

D’une certaine manière, l’ampleur de notre contribution peut relever du cas par cas. Être coproducteur c’est avoir le droit de regarder comment est monté le budget de production. Nous sommes à l’opposé d’une logique de subventions. Quand un projet nous intéresse nous pouvons simplement le soutenir à parité avec d’autres ou, au contraire, devenir un partenaire majoritaire.


Qu’est-ce qui, pour ces comités, est artistiquement intéressant ?

Dans la plupart des cas, nous n’avons pas d’a priori majeur concernant les genres. Disons que la ligne qui se dégage c’est que nous sommes attentifs aux écritures contemporaines. Pourtant, un comité artistique est l’expression de plusieurs voix : la discussion et la confrontation produisent quelques fois des effets inédits par rapport à ce que certains pourraient imaginer être une ligne.
Je ne parle jamais d’excellence artistique car je trouve que c’est un concept totalement pervers et je suis réservé quand on parle de ligne éditoriale car cela peut couvrir les préférences d’individus ou de petits groupes parfois discutables.

Il faut garder une marge de liberté qui est en réalité un effet lié à la confrontation des points de vue. De plus, la composition de ces comités est renouvelée périodiquement, sinon, on referme rapidement l’espace de discussion et autant donner la responsabilité du choix à un directeur artistique.

Cet été à Avignon, Arcadi a organisé un débat sur le thème de la diffusion des spectacles. Où en est votre réflexion sur ce sujet ?

Le système est bloqué. Paradoxalement si les financeurs et les co-producteurs savent encore aider les équipes à créer des spectacles, nous ne savons plus les aider à circuler. Le diagnostic est là. Arcadi a d’ailleurs été créé au moment du rapport Latarjet.
Il y aurait une certaine lâcheté à se désintéresser de la diffusion, sous prétexte qu’on intervient sur l’aide à la création. Nous avons cette chance d’intervenir aussi bien sur la production que sur la diffusion.

Quant nous écoutons les artistes, et nous l’avons bien vu cet été, le problème, pour eux, ce sont les programmateurs : difficiles à joindre, à les faire se déplacer, frileux ou opaques dans leur choix...
Nous, que pouvons-nous faire ? Assez vite, j’ai été conduit à supprimer deux festivals. Il s’agissait en quelque sorte d’une super programmation régionale, ce qui me mettait en situation d’être à la fois juge et partie. Sortir de la compétition entre festivals, cela me semble indispensable si je veux que notre intervention soit efficace dans un système en crise, efficace auprès des équipes artistiques et des publics.

Maintenant, l’idée principale est de mettre toutes nos forces de travail, nos compétences, nos outils de communication au service des œuvres que nous avons décidé d’aider. C’est aussi une forme de label.
Deuxièmement, nous suscitons des intelligences de coopération entre des lieux suffisamment distants géographiquement sur le territoire francilien pour monter des « mini-tournées ». Nous dégageons également de la conviction et des moyens pour favoriser les séries de représentations. Car, la difficulté est que les artistes n’arrivent pas à diffuser leur spectacle et, quand ils arrivent enfin à être programmés, ils ne trouvent qu’une date ou deux. Nous menons aussi une réflexion concernant la question de la scène parisienne. Permettre une diffusion nationale, demande de travailler sur la durée. Si on “fait un coup”, ça ne peut pas fonctionner.

Il y a aussi des théâtres qui ont une réflexion relative à leur zone de chalandise et qui misent sur l’intérêt qu’il y a à prendre le risque de faire dix dates pour diversifier le public susceptible de venir, quitte à ne pas remplir la salle. Nous en sommes à une phase de débat, de dialogue avec les lieux pour faire alliance avec les uns et essayer de convaincre les autres. Nous avons pour cela des moyens économiques ce qui est toujours attractif. Nous essayons de réintroduire une logique de coopération, de travail en réseau, par rapport à la question de la diffusion.

Quel est votre point de vue aujourd’hui sur la situation du spectacle vivant ?

Ce que je peux dire sur la situation du spectacle vivant en région Île-de-France ne vaut absolument pas pour l’ensemble du territoire national. La région Île-de-France connaît une hyper concentration des difficultés liée tout simplement à une hyper concentration des équipes. Mais le paradoxe c’est qu’il y a en même temps un très grand nombre de lieux de diffusion et un public potentiel extrêmement large. D’une certaine manière, on peut considérer la zone Île-de-France comme une espèce de laboratoire paradoxal de cette tension entre la richesse de l’offre portée par les équipes artistiques, la richesse des lieux de diffusion et le fait que cela se heurte à une impasse, malgré tout.

Chaque jour quand je regarde où sont les tensions, je suis bien obligé de me dire que, de toute façon, il n’y a pas assez d’argent public investi dans le dispositif.
Ensuite, où faut-il mettre la barre ? 2 % du budget de l’Etat, 1 % du PIB ?

Certes, ces « nouvelles frontières » budgétaires ouvrent des perspectives, mais je suis fonctionnaire et d’une certaine façon, contraint au pragmatisme. Ce qui m’importe au moins autant que les problèmes de financement, c’est de mettre en regard la montée en puissance du désir de création des équipes artistiques et la fréquentation des publics.

Les politiques publiques de ces 15 ou 20 dernières années étaient fortement axées sur l’aide aux artistes. Dans le même temps s’est produit un phénomène indiscutable, le développement des pratiques en amateur. Ceci est-il l’effet paradoxal de cela ? Je n’en sais rien. Mais je constate qu’on était parti pour augmenter les spectateurs et finalement on a développé les amateurs. Dans la même période, on constate une élévation du niveau de formation et une nette augmentation du temps libre.

Je ne nie pas qu’il y a évidemment des obstacles sociologiques et culturels qui continuent d’exister. Mais j’observe aussi que les conditions de vie de l’individu contemporain font qu’il consacre moins de temps au spectacle vivant qu’aux loisirs proposés par les industries culturelles d’une part et qu’il a d’autre part le désir de faire soi-même de la musique, du théâtre ou de danser. Il convient de réfléchir à long terme. On comprend alors qu’avoir des spectateurs demain passe nécessairement par l’école. Il y a là un vrai problème. L’école produit sans doute des performances extrêmement intéressantes, l’école s’est démocratisée, mais elle n’a pas su démocratiser l’accès aux pratiques artistiques traditionnelles comme aller au théâtre.

La démocratie culturelle passe par l’école ?

Je pense que c’est incontournable. On peut facilement constater qu’il n’y a pas de commune mesure entre le niveau de formation des étudiants et leur fréquentation des théâtres. Il y a beaucoup plus d’étudiants qu’en 1946 mais, proportionnellement, on ne les retrouve pas dans les théâtres. Les théâtres ne sont pas simplement vides de classes populaires, ils sont aussi vides de classes moyennes. Des gens qui, par ailleurs, ont des formations et des compétences élevées.

Évidemment, il faut engager des politiques volontaristes d’aide à la création, à la diffusion et à l’élargissement des publics (qui dépendent du ministère de la culture ou des collectivités). Mais laisser de côté l’école est à mon avis une absurdité, car c’est fondamentalement là que tout se joue. Et, à cet égard, nous avons des politiques en accordéon.

Je constate qu’il n’y a pas d’éducation à la position de spectateur. Cette position est aujourd’hui quasi naturelle face à l’écran de télé, d’ordinateur ou de jeu vidéo, mais pas face à une scène dans une salle de spectacle.
Conjointement, nous voyons se développer toutes sortes de fêtes et d’événements en plein air comme si Rousseau avait définitivement convaincu les décideurs et certains professionnels qu’il faut remplacer le spectacle par la fête. C’est une des réussites incontestables des politiques culturelles de ces 20 dernières années. Il y a des festivals partout, mais cela ne règle absolument pas le fond du problème ; pas plus d’ailleurs que l’économie du spectacle vivant, pervertie par cette logique festivalière.

http://www.arcadi.fr/

A propos de l'auteur
Gilles Dumont

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook