Choisir un cours de théâtre ?

Jean-Paul Denizon nous fait partager son expérience

Webthea : Vous enseignez le théâtre depuis 20 ans et vous dirigez la compagnie aiA. Quel est votre parcours ?

JPD : Après avoir travaillé pendant 13 ans avec Peter Brook, j’ai créé la compagnie aiA en 1994. Au début, elle était entièrement dédiée à la formation de l’acteur. Petit à petit nous avons monté des productions, notamment avec la Grèce, l’Italie, l’Allemagne. Ce n’est que durant les dernières années que nous avons créé des spectacles en France dédiés au jeune public dont deux ont connu un grand succès : “Qu’y a-t-il dans la malle du capitaine ?” et “Moi qui marche”.

Webthea : Comment a évolué la formation des acteurs au cours de ces années ?

JPD : Auparavant, les formations étaient fréquentées essentiellement par les jeunes acteurs. On y passait une ou plusieurs années et quand on en sortait on était devenu comédien. Et puis, il y a 20 ans, sont apparus les stages. C’est à dire que des acteurs, même confirmés, pouvaient se remettre en question et décider d’aller suivre un stage avec quelqu’un susceptible de leurs apporter une nouvelle manière de voir leur métier.

Maintenant en quoi a évolué l’enseignement ? Que s’est-il passé ? Il y avait avant ce que l’on peut appeler l’enseignement traditionnel à la française où finalement on donnait de bons conseils aux acteurs, mais sans véritable méthode. L’acteur essayait alors de faire avec son monde, son imaginaire personnel, sans savoir trop bien sur quoi s’appuyer pour jouer. A cette époque, nous avions tous nos qualités au départ. Nous étions, ou nous n’étions pas acteur. A côté de cela il y avait la méthode Stanislavski, celle de l’Actor’s Studio, et c’était à peu près tout.

Maintenant, d’autres façons de faire se sont développées et qui sont à mon avis plus intéressantes. Elles sont basés sur l’accord entre notre univers mental, notre corps, et notre monde émotionnel. Je considère que ces trois dimensions sont indissociables, et que le vrai travail se trouve dans la recherche d’un équilibre entre elles.

Webthea : L’offre d’ateliers et de stages, notamment à Paris et en région parisienne, est très importante. Qu’en pensez-vous ?

JPD : Il y a toujours eu une offre très importante à Paris. On a recensé plus de 200 cours privés. La qualité c’est autre chose et ce n’est pas à moi d’en juger. Actuellement, avec les difficultés que connait le monde du spectacle, il y a une augmentation des gens qui ouvrent des cours et qui s’intitulent pédagogues du jour au lendemain. Ils ont 25 ou 30 ans, n’ont presque pas d’expérience, et pensent qu’ils sont en mesure de transmettre quelque chose. Si je dois faire une critique, je dirais qu’avant de faire quelque chose, surtout quand il s’agit de transmission, il faut se poser de vraies questions : Qu’est-ce que je transmets ? Comment je le transmets ?

En 1985, chez Peter Brook, il y a eu 400 professionnels, invités tous les jours, pendant deux semaines. Nous leurs avons montré tous les exercices que nous faisions. Brook faisait des petites conférences, parlait de l’atelier, et travaillait même avec le public. A la fin de ces deux semaines de portes ouvertes, un groupe est venu me voir en me demandant de diriger un stage pour eux. J’ai refusé parce j’estimais ne pas connaître ce métier. Je ne me sentais pas capable de m’occuper d’un atelier. Finalement, après plusieurs mois, j’ai accepté. On a choisi des textes et fait un travail d’exercices que je faisais depuis des années et des années chez Brook. Mais, en même temps, je me suis retrouvé devant un métier absolument nouveau. La difficulté ne résidait pas dans le fait de les diriger en faisant une mise en scène, mais de leur apporter quelque chose. C’est à dire d’être capable de répondre aux questions qu’ils se posaient. Rien n’est plus difficile. Après deux mois de stage, les élèves partaient satisfaits. Aussitôt après, devant l’enthousiasme des anciens élèves et à leur demande, j’ai continué. Il y avait donc une satisfaction de leur part, mais pas de la mienne. Je savais que je ne répondais pas bien aux questions qu’ils se posaient. Ma réponse ne déclenchait pas chez eux une certaine ouverture. Un pas qui leur faisait se dire : “ça y est, je viens de comprendre quelque chose”.

Petit à petit je me suis passionné pour ce travail et j’ai mis des années avant de me dire enfin que je commençais à savoir répondre à ces questions. Or, maintenant, je me pose toujours ces questions, car elles sont absolument nécessaires. D’abord parce que ces questions évoluent et pas seulement les techniques. C’est un état d’esprit qui les accompagnent.

Mais je dois dire qu’après vingt ans, je commence à comprendre ce que veut dire le verbe “transmettre”. Il ne s’agit pas d’appliquer bêtement le manuel. Nous sommes dans le cadre d’un enseignement artistique et, de ce fait, la personne en face de vous va se mettre en cause. Elle va s’utiliser entièrement pour produire quelque chose du domaine de la sensibilité et de l’imaginaire ; et il s’agit d’une chose extrêmement fragile.

Webthea : Pour débuter dans le théâtre ou compléter sa formation, quelles questions faut-il se poser ? Comment choisir un cours de théâtre ?

JPD : Ce sont à peu près les mêmes questions sauf qu’elles sont à l’envers. C’est à dire que moi je me pose la question de “ qu’est-ce que je transmets ”, et je crois que celui qui veut apprendre le théâtre devra se demander “qu’est-ce que j’aimerais recevoir “. Il est primordial de trouver une correspondance d’aspiration. Si je me demande aujourd’hui, pourquoi, à l’époque, j’ai choisis certains cours plutôt que d’autres, je dirais que c’est parce que l’enseignant avait une certaine réputation ou parce qu’un ami m’en avait dit du bien. Et j’y allais sans réfléchir en acceptant les idées qui m’étaient données. Mais 20-25 ans plus tard, je m’aperçois que j’aurais peut-être gagné du temps si j’étais allé dans un endroit précis, mieux choisi.

Qu’est-ce qui me plaît ? Qu’est-ce que je cherche ? Vers quoi je vais ? Je crois bien qu’on ne peut pas toujours savoir, surtout au début. Alors, dans ce cas, il faut malgré tout essayer de répondre à la question “ C’est quoi le théâtre pour moi ?” même si l’on y connait rien. Il y a des réponses toutes simples comme : Exalter ma propre personnalité ? Ressentir des émotions ? M’échapper de moi-même pour essayer d’être un autre ? Des réponses qui marquent une forme d’égoïsme. Et puis peut-être d’autres se diraient : Non le théâtre c’est donner quelque chose à des gens qui ont besoin de recevoir, le public, par exemple. Et comment je veux le donner ? A travers quoi cela va passer ?

D’autre part, un élève ne doit pas avoir peur, ni rester sous l’autorité de celui qui dirige l’atelier. Il faut beaucoup voyager pour connaître et pour apprendre à différencier les choses. Il ne faut pas se disperser et se perdre, mais ne pas non plus avoir peur d’essayer et de changer pour trouver son équilibre.

Il y a un autre critère dont je parle toujours à mes élèves. Si, dans un endroit, vous sentez que vous devenez trop sérieux, partez ! Si on fait ce métier là, c’est parce que c’est un des rares métiers que l’on fait pour la joie. Il ne faut pas que ce soit fait pour l’ordre, ni pour le sérieux. Quand je parle de sérieux, comprenez bien que ce que nous faisons est sérieux. Mais on pourrait dire que c’est sérieux comme l’amour est quelque chose de très sérieux. Cependant, être sérieux dans l’amour ce serait dramatique. Il faut le faire légèrement, comme la vie doit être légère. Si la vie devient pesante, c’est horrible. La vie ne peut être légère qu’à la condition de porter une attention permanente à chacune des petites choses de la vie. Un éveil permanent à la propre conscience de ce que l’on fait.

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Gilles Dumont

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