L’hallucinant come back d’"Einstein on the beach"

L’opéra culte de Philip Glass et Robert Wilson est repris dans une version psychédélique bluffante par Susanne Kennedy et Markus Selg.

L'hallucinant come back d'"Einstein on the beach"

On l’avoue, on était sceptique quant à la recréation « psychédélique en immersion » de l’opéra de Philip Glass et Robert Wilson créé en 1976, recréation annoncée comme un « étourdissant maëlstrom visuel ». Rien ne nous semblait plus étranger au souvenir que l’on avait gardé de cet opéra très hiératique et stylisé, en quatre actes, pour ensemble, chœur et solistes du plus pur style répétitif, rarement redonné depuis. Or cette nouvelle production, sans la participation ni l’opposition des deux maîtres d’œuvre originaux, est une divine surprise, radicalement différente de la première pour la mise en scène, mais parfaitement à sa hauteur pour la musique. Il ne faut pas manquer son passage météorique pour quelques jours seulement à La Villette avec l’appui du Festival d’Automne et de la Philharmonie de Paris.

En trois heures trente sans entracte, la metteuse en scène Susanne Kennedy et le plasticien Markus Selg, tous deux d’origine allemande, installent sur le plateau de la Villette un incroyable paysage postapocalyptique coloré et mouvant (grâce à une pluie de vidéos projetées partout). Le sol imite une étendue de sable jonchée de débris et de fossiles que parcourent d’un pas toujours égal la demi-douzaine de performeurs qui, à intervalles réguliers, s’éparpillent dans la salle. Plus que de simples acteurs, ceux-ci sont à la fois danseurs et récitants du texte d’origine avec lequel il a été pris quelques libertés. Il n’en reste pas moins toujours aussi sibyllin avec ses séries de chiffres et de notes de solfège, ses dialogues abscons et ses répétitions martelées, le tout dit d’une voix toujours blanche avec un accent américain marqué (sans surtitres).

Baignant dans une esthétique très années soixante-dix, le plateau est dominé par une grande roue creuse et déglinguée qui évoque un vaisseau spatial en rade au centre duquel prennent place tour à tour des couples de servants. L’orchestre reste confiné dans une fosse creusée dans l’avant-scène, entourée de cordes comme un ring surréaliste. Le chœur, lui, vêtu de costumes futuristes, forme un groupe compact dont les stances rythment la cérémonie étrange qui se déroule, imperturbable, entre science-fiction, rituel chamanique et jeu vidéo.

Acmés rythmiques

Dans la droite ligne de Bach, la musique absolument envoûtante de Philip Glass, portée par l’ensemble vocal Basler Madrigalisten, déroule ses courbes sinueuses, avec ses motifs récurrents comme des leitmotifs, ses acmés rythmiques ponctués de decrescendos vertigineux terminés par de brefs silences.

On n’est pas près d’oublier les soli de violon joués par une mystérieuse créature rasée et transgenre à l’inextinguible énergie. Ni la longue séquence de transes qui s’empare des performeurs au mitan du spectacle dans un continuo frénétique et contagieux qui semble n’avoir pas de répit ni de fin.

On regrette seulement que, pour gommer les frontières entre les acteurs et le public, celui-ci soit invité à déambuler sur le plateau pour participer de près au rituel informel et néanmoins impeccablement réglé. Certains n’hésitent pas à s’installer dans les éléments du décor, au risque de gêner les performeurs. D’autres, dans les gradins, consultent sans vergogne leur téléphone portable. On rêve de les voir imploser !

Photo Ingo Oehn

Einstein on the Beach à La Villette jusqu’au 3 décembre. https://www.lavillette.com
Conception : Susanne Kennedy, Markus Selg. Mise en scène : Susanne Kennedy. Scénographie : Markus Selg.
Avec Suzan Boogaerdt, Tarren Johnson, Frank Willens, Tommy Cattin, Dominic Santia, Ixchel Mendoza Hernández, Diamanda Dramm, Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, Emily Dilewski, Sonja Koppelhuber, Nadja Catania.
Direction musicale : André de Ridder, Jürg Henneberger. Costumes : Teresa Vergho. Lumière : Cornelius Hunziker. Création sonore : Richard Alexander building / train Andi Toma (Mouse on Mars). Son : Robert Herman. Vidéo Rodrik Biersteker, Markus Selg. Chorégraphie : Ixchel Mendoza Hernández. Dramaturgie : Meret Kündig.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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