Giulio Cesare de Haendel au Palais-Garnier

César supplanté par Cléopâtre

En Cléopâtre, la soprano Lisette Oropesa ravit la vedette à Gaëlle Arquez, rôle-titre, dans l’opéra de Haendel.

César supplanté par Cléopâtre

Dans le but, sans doute, de se refaire une santé financière, l’Opéra national de Paris commence l’année avec une rafale de reprises, valeurs sûres du répertoire et productions à succès susceptibles de capter un large public. Ce fut le cas la semaine dernière avec Adriana Lecouvreur, et c’est le cas cette semaine avec Giulio Cesare de Haendel et La Traviata de Verdi. De ces deux dernières œuvres, nous avons choisi de ne revoir que la première tant la reprise de la seconde est fréquente, proche de la saturation, et la mise en scène, qui fait de la célèbre phtisique une influenceuse, agaçante.

On avait gardé un vif souvenir de la production de Giulio Cesare signée en 2011 par un Laurent Pelly très en verve, servie par des artistes éclatants, dont une Natalie Dessay au plus haut (spectacle qui n’a jamais été repris depuis lors). Le metteur en scène y traitait tout en légèreté l’opéra en trois actes de Haendel, créé à Londres en 1724, qui s’étire sur plus de quatre heures (dont deux entractes). Cette manière ludique de casser les codes de l’opéra seria veut répondre à l’objectif de Haendel qui mêle comédie et tragédie dans une cascade d’airs tour à tour martiaux, élégiaques, acrimonieux, tendres ou emportés.

Tableau galant

L’action, foisonnante, pur prétexte à arias et vocalises virtuoses, y est située dans les réserves d’un musée. Entre antiquités romaines, égyptiennes et peintures orientalistes, les personnages prennent vie dans le ballet des statues monumentales, des caisses en bois et des régisseurs affairés. Rien n’est pris au sérieux dans ces intrigues de pouvoir et de séduction où la sœur (Cléopâtre) et le frère (Ptolémée) se déchirent à belles dents sous les yeux très intéressés de l’invincible empereur romain.

Avec force personnages et intrigues secondaires, travestissements et autres coups tordus, les tableaux se succèdent comme des vignettes de BD. Constamment distrait, agacé ou amusé par ce capharnaüm, le spectateur doit parfois se concentrer sur certains tableaux d’une grande beauté plastique. Comme au début du deuxième acte où Cléopâtre entre littéralement dans un tableau galant à la Watteau, incarnation de la Vertu entourée des neuf muses en costumes XVIIIe du plus bel effet.

Corniste et soliste

Un rien conventionnelle, la direction du Britannique Harry Bicket contraste avec le remue-ménage scénique. Peu connu du public parisien, le chef, grand connaisseur du répertoire baroque, est habitué à l’aborder avec des orchestres sur instruments modernes (tels ceux du Metropolitan Opera ou du Sante Fe Opera). Il a convaincu l’Orchestre de l’Opéra de Paris, qui d’habitude cède la place aux ensembles indépendants pour le baroque, d’accepter le défi. Le résultat est probant, avec un brio instrumental et un équilibre toujours irréprochable avec les voix. Autant de qualités particulièrement sensibles dans l’air le plus connu de la pièce, « Va Tacito... », où corniste et soliste font des prodiges.

Pour ce qui concerne la distribution vocale, la divine surprise vient de la soprano Lisette Oropesa, qui incarne une Cléopâtre doublement séductrice par son physique et sa voix aussi souple que puissante, se jouant du ballot de César. L’artiste d’origine cubaine ravit la vedette à la française Gaëlle Arquez qui peine à entrer dans la peau de l’empereur romain mais finit par nous émouvoir au troisième acte quand, vaincu par les Égyptiens, César s’inquiète pour son amoureuse et son armée. Troisième grande incarnation de la soirée : le contre-ténor Iestyn Davies joue un Ptolémée décadent et retors à souhait.

Dans la distribution pléthorique, on note également la contralto allemande Wiebke Lehmkuhl en touchante Cornelia (veuve de Pompée) poursuivie par les assiduités de l’Égyptien Achillas campé par l’impressionnant baryton-basse Luca Pisaroni.

photo Vincent Pontet

Haendel : Giulio Cesare. Palais-Garnier, jusqu’au 16 février 2024 (https://www.operadeparis.fr)
Avec Gaëlle Arquez, Lisette Oropesa Adrien Mathonat, Wiebke Lehmkuhl, Emily d’Angelo, Iestyn Davies, Luca Pisaroni, Rémy Bres. Direction musicale : Harry Bicket. Mise en scène : Laurent Pelly. Décors : Chantal Thomas. Lumières : Joël Adam. Dramaturgie : Agathe Mélinand. Chef des chœurs : Gaël Darchen. Orchestre de l’Opéra national de Paris. Chœur Unikanti.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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