Au Châtelet jusqu’au 18 avril

Liberté Cathédrale de Boris Charmatz

Avec cette pièce créée pour le Tanztheater Wuppertal qu’il dirige, Boris Charmatz orchestre une polyphonie de corps.

Liberté Cathédrale de Boris Charmatz

Entre les deux mots du titre, Liberté et Cathédrale, le rapport est d’autant moins évident qu’il s’agit de danse. Quoi de plus opposé a priori qu’une église monumentale qui a autorité sur un territoire et l’expression de corps sans contraintes ? Ne craignant pas la hauteur du défi, Boris Charmatz tente un pont entre le ciel et la terre, entre le spirituel et le matériel, entre l’architecture et la danse. La pièce fait en effet penser à une architecture mouvante de corps tantôt solidaires tantôt autonomes. Elle convoque un effectif important de près de trente danseurs venus du fameux Tanztheater Wuppertal, la troupe de Pina Bausch (disparue en 2009) qu’il dirige depuis fin 2022, et de Terrain, un groupe de ses fidèles.

Liberté Cathédrale est partie d’un lieu, une église brutaliste (béton et métal) de la région de Wuppertal qui a inspiré le chorégraphe. Créée à la Biennale de la danse de Lyon l’automne dernier dans une ancienne usine, la pièce qui transite au Châtelet pour quelques jours a nécessité un bouleversement complet de la salle parisienne. La scène gigantesque occupe pratiquement tout le parterre et les spectateurs se disposent tout autour en mode quadri frontal.

Tout au long du spectacle de près de deux heures, les danseurs sont ensemble et différents, pris dans une communauté de foi et de corps (de foi dans les corps), chacun apportant son vocabulaire chorégraphique propre avec une grande disparité d’expressions (ce qui est bien dans l’esprit de Pina Bausch). Mais de nombreux passages restent énigmatiques et les intentions surabondent au risque de la dispersion (ce qui est l’est moins). La grande fresque se déroule en cinq scansions, séparées par des noirs, chacune avec un principe chorégraphique précis, dans une ambiance sonore particulière et des jeux de lumière très contrastés.

Volées d’énergie

Cela commence par des corps porteurs de voix qui chantent a capella et à l’unisson des « lalala… » qui se révèlent être une transposition simplifiée d’une sonate de Beethoven pour piano. Les danseurs semblent portés par un élan collectif avant de s’écrouler littéralement au sol. Comme rappelés à la terre avant de se relever et de repartir pour un nouveau cycle d’ascencion/chute. Puis les sonorités de l’orgue entrent en jeu faisant peu à peu concurrence à celles des cloches qui s’y mêlent dans une joyeuse cacophonie qui libère chez les danseurs des volées d’énergie.

Quand le silence se fait et que le mouvement s’arrête sur des bouches muettes grandes ouvertes, pointées vers le ciel, on s’interroge. S’agit-il d’extase mystique, de méditation, d’étouffement la gueule ouverte ? Charmatz fournit la réponse dans le programme de salles : il s’agit du cri inaudible des victimes de pédocriminalité dans l’église. Soit.

Énigmatique aussi une chanson du duo Peaches intitulée Fuck the pain away que chaque danseur va porter à sa manière au milieu du public. Et ce poème de John Donne au titre évocateur Pour qui sonne le glas. Une foule d’images surgissent au fil des bribes de narration qui s’égrènent, portées par les corps toujours en tension, évoquant tour à tour les fresques tourmentées du Jugement dernier des églises italiennes, les rondes apaisantes de l’assemblée des Bienheureux, les résurrections glorieuses. Ce n’est pas le moindre mérite de cette production très (peut-être trop) riche.

Liberté Cathédrale, de Boris Charmatz au Châtelet jusqu’au 18 avril, https://www.theatredelaville-paris.fr
Organiste : Jean-Baptiste Monnot. Assistante chorégraphique : Magali Caillet Gajan. Lumières : Yves Godin. Costumes : Florence Samain. Travail vocal : Dalila Khatir. Matériaux sonores : Olivier Renouf, Phill Niblock, Ludwig Van Beethoven.
Avec l’Ensemble du Tanztheater Wuppertal et des invités.
Photo César Vayssie

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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