William chez Jean-Sébastien
Aux Bouffes du Nord, Charlotte Rampling récite Shakespeare cependant que Sonia Wieder-Atherton joue Bach.
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- 14 mars 2022
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- Opéra & Classique
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DANS QUEL ÉTAT D’ESPRIT LA MUSIQUE ET LA POÉSIE vivent-elles aujourd’hui ? Cohabitent-elles volontiers ? La situation a-t-elle beaucoup évolué par rapport à celle qui existait il y a dix ans, cinquante ans, cent ans, cinq cents ans ? « Prima la musica ? Prima le parole ? » La question posée dans Capriccio, l’opéra de richard Strauss, reste entière, et certains spectacles s’amusent à la reposer, indépendamment de toute intrigue dramatique. C’est l’idée qu’ont eue Charlotte Rampling et Sonia Wieder-Atherton, à la faveur d’un spectacle intime et dépouillé joué sur la scène du Théâtre des Bouffes du Nord, qui reprend la formule d’une rencontre entre la musique de Britten et la poésie de Sylvia Plath qu’elles avaient provoquée en 2014 au Théâtre de l’Œuvre.
L’enjeu est cette fois encore on ne peut plus simple : livre à la main, Charlotte Rampling, démarche lente, voix grave légèrement vibrée, diction aristocratique, récite quelques sonnets de Shakespeare en anglais ; tous composés de trois quatrains suivis d’un distique, ils abordent pour la plupart le sentiment de l’énigme de la beauté qui fuit avec le temps. Sonia Wieder-Atherton lui donne la réplique avec ardeur en jouant des extraits de quelques Suites pour violoncelle de Bach, mais aussi des pages de Lotti et de Monteverdi arrangées par elle-même, ainsi qu’un Chant de là-bas de sa plume. Des bruits d’ambiance (cris d’enfants, vagues, pluie, etc.) viennent quelquefois s’ajouter, sans apporter grand’chose. Tout se joue entre les mots et les notes, entre les cordes vocales et celles de l’instrument.
Comment traduire ?
Les sonnets sont dits dans leur langue originale, mais une traduction est projetée : celle qu’ont signée André Markowicz et Françoise Morvan, qui proposent une version française en décasyllabes rimés, avec quelques néologismes délicieux (« envieillir », « portraire », « muable ») mais aussi, comme toujours, et comme ce sera le cas jusqu’à la fin des temps, cette question latente : comment traduire ? « Rengaine vieille » serait donc l’équivalent d’« antique song » ? Nous ne répondrons pas ici, évidemment, tant cette question est presque aussi vieille que le monde.
Sonia Wieder-Atherton a également signé la mise en scène, qui permet à Charlotte Rampling d’entrer, de sortir, de s’asseoir sur une chaise, de se promener comme à l’intérieur d’une pyramide en balayant de sa torche le mur du fond sur lequel sont fixés des portraits d’hommes et de femmes de tout âge. Un vrai metteur en scène serait allé plus loin, et aurait demandé à la comédienne, par exemple, d’apprendre par cœur les sonnets, de manière à se libérer de toutes les contraintes, et de jouer sans micro : dans le petit espace des Bouffes du Nord, sans orchestre auquel s’affronter, quel sens a cet accessoire, sinon qu’il balafre la joue de la comédienne ?
Le spectacle s’achève sur le mot « kings ». Il est vrai que Shakespeare a tellement chanté les rois qu’il a fini par les déposséder de leurs couronnes.
Illustration : Sonia Wieder-Atherton et Charlotte Rampling (dr)
Shakespeare/Bach. Charlotte Rampling (voix), Sonia Wieder-Atherton (mise en scène et violoncelle). Théâtre des Bouffes du Nord, 11 mars 2022.