Le concerto pour piano avec chœur d’hommes de Busoni à Radio France

Une partition à hue et à dia

Il faut remercier Radio France d’avoir permis de nous faire une idée précise du concerto diffus et prolixe de Busoni.

Une partition à hue et à dia

IL Y A DES ŒUVRES QUE L’ON CITE PARFOIS sans les avoir entendues, soit qu’elles aient leur propre légende, soit qu’elles fassent figure de partition maudite ou qu’elles nécessitent des moyens hors du commun. C’est le cas du gigantesque et ambitieux Concerto pour piano et orchestre de Busoni, créé le 10 novembre 1904 à Berlin sous la direction de Karl Muck, avec le compositeur au piano, et la participation d’un chœur – car Busoni a vu les choses en grand : non content de dépasser le cadre habituel du concerto avec soliste virtuose et orchestre, le compositeur italo-allemand (« J’écris en allemand et je rêve en italien », confia-t-il un jour à Stefan Zweig) eut aussi l’idée de convoquer un chœur d’hommes chargé de la péroraison, un peu comme Liszt à la fin de la Faust-Symphonie.

Au terme des cinq mouvements, toutefois, on reste songeur : qu’a voulu nous dire Busoni ? Quelle architecture a-t-il donnée à sa partition ? Sans grande inspiration mélodique, sans harmonies qui viendraient nous troubler, sans séduisante invention orchestrale, l’œuvre laisse perplexe. Il y a bien là quatre flûtes dans l’orchestre, mais elles ne créent guère de relief ; les motifs confiés aux cordes n’ont rien de saillant, le cor anglais reste anonyme et les percussions décoratives. L’ouvrage s’étire, alterne les moments méditatifs et les rythmes de chevauchée, joue très peu sur les couleurs et un peu plus sur les dynamiques, mais jamais ne nous surprend. La partie réservée au pianiste, d’une difficulté redoutable, reste du domaine du spectaculaire, d’autant que le piano n’est pas ici concertant, contrairement à ce que le titre de l’ouvrage pourrait laisser supposer. L’orchestre et le pianiste jouent parallèlement, sans jamais se rencontrer, sauf à quelques brefs instants.

Plus de volonté que de représentation

Les passages les plus intéressants, précisément, et en particulier dans le troisième mouvement, sont ceux qui opposent le piano… dans la nuance piano à tel choral de cuivres ou à tel groupe de percussions. Quant au chœur final, sur un extrait traduit en allemand d’Aladin ou la lampe merveilleuse (1805) du poète danois Adam Oehlenschläger, on se demande ce qu’il vient faire là, sinon ajouter au décousu du propos et faire de cette œuvre autre chose qu’un concerto, une symphonie ou une cantate. Précisons que Busoni avait un temps imaginé une partition d’une facture inédite, mêlant le drame à la symphonie et inspirée de ce texte ; le finale de son concerto est sans doute le souvenir de ce projet resté inachevé. Il faut bien sûr louer le compositeur d’avoir voulu faire œuvre nouvelle et d’avoir bousculé les genres ; mais si on apprécie que sa musique ne ressemble ni à celle de Liszt, ni à celle de Brahms, ni à celle de Sibelius, ni à celle de Mahler, on aimerait que ce concerto ait un visage, des traits, une expression et non pas une simple silhouette aux contours imprécis. Il y a loin du projet à sa réalisation.

À Radio France, c’est l’Orchestre national de France qui s’empare du concerto de Busoni. Il le fait avec les vertus qu’on lui connaît, sous la direction de Sakari Oramo. Le Chœur de Radio France, dans son intervention finale, chante comme une même et grande voix. Très en forme, Kirill Gerstein relève le double défi, musical et athlétique, de la partie de piano conçue par Busoni (précisons qu’Oramo et Gerstein sont des familiers de cette œuvre, qu’ils ont gravée pour Myrios en 2017). Orchestre, chœur, chef et soliste nous ont sans aucun doute offert là une version accomplie du concerto de Busoni. Sans pour autant nous avoir épargné de longs moments d’incrédulité.

Illustration : Ferruccio Busoni (photo dr)

Ferruccio Busoni : Concerto pour piano et orchestre avec chœur d’hommes, op. 39. Kirill Gerstein, piano ; Chœur de Radio France (préparé par Aurore Tillac), Orchestre national de France, dir. Sakari Oramo. Maison de la radio et de la musique, 10 octobre 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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