Une chauve-souris au Conservatoire
Le Conservatoire de Paris a choisi La Chauve-Souris de Johann Strauss pour faire connaître le talent des étudiants chanteurs et musiciens.
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- 10 mars 2022
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IL EST TOUJOURS INTÉRESSANT DE VOIR et d’entendre de jeunes interprètes s’emparer des grandes partitions du passé (c’est-à-dire qui sont restées présentes, tant leur beauté dépasse les époques). Après Il Nerone représenté à l’Athénée par les membres de l’Académie de l’Opéra de Paris, voici La Chauve-Souris par les étudiants du Conservatoire*, dans une coproduction avec la Philharmonie de Paris. Un choix qui peut paraître étonnant, tant il s’agit là d’une œuvre légère, qui ne s’inscrit pas comme un jalon essentiel de l’histoire de la musique et ne prête pas le flanc à de vastes digressions théoriques. Mais justement : au-delà du charme de cette musique constamment inspirée, les interprètes disposent là d’une riche matière pour trouver le style, la manière à la fois élégante et comique, sans oublier bien sûr les indispensables qualités techniques requises notamment par les rôles de Rosalinde et d’Adèle. Sans compter qu’une telle production permet aux jeunes chanteurs et instrumentistes, mais aussi aux étudiants de la classe de direction de chant, de la direction des études chorégraphiques et des métiers de la culture musicale (qui ont réalisé le programme de salle) de montrer ce dont ils sont capables.
Notre époque fourmille de jeunes talents (qui suffiraient à démolir une fois pour toutes le préjugé selon lequel cette musique n’intéresserait plus qu’une poignée de nostalgiques ou de crispés), et c’est un bonheur de voir comment une équipe soudée peut donner la vie à une partition aussi célèbre que La Chauve-souris, ou plutôt Die Fledermaus : car l’ouvrage est donné en allemand, avec des dialogues en français légèrement réécrits, ce qui permet de goûter la langue allemande utilisée à des fins joyeuses, avec ses expressions françaises (« souper », « charmant », « toilette », « chacun à son goût ») qui disent combien, en 1874, le français était la langue de la volupté.
On soulignera ici le plaisir de chanter qu’expriment sans réserve Yeong Taek Seo (Alfred) et Marie Lombard (Adele), qui manifestement sont heureux d’être là et nous communiquent leur énergie et leur maîtrise. Parveen Savart, tout à fait à l’aise en Rosalinde, compose un personnage un peu plus intellectuel, Aymeric Biesemans est un Frank de bon aloi, comique mais sans débordement, cependant que Benoît Rameau (Eisenstein) et Mathieu Walendzik (Falke) s’entendent fort bien mais pétillent avec plus de modération. On citera encore le beau timbre de Floriane Hasler, malheureusement sous exploitée dans le rôle d’Orlofsky.
Le canapé et son inconscient
Et c’est là qu’il faut déplorer combien la mise en scène de Nicola Raab (qui n’est pas une étudiante) est lugubre et relâchée, avec ses éclairages sombres, ses personnages qui ne cessent de tomber par terre, son incapacité à faire vivre le chœur, son obsession des canapés : allusion cryptée à la psychanalyse ? Il est vrai que selon Nicola Raab, « la critique de la bourgeoisie (…) ne fait plus écho aux préoccupations sociétales contemporaines ». Sans jouer la carte de la viennoiserie, on aimerait une mise en scène plus électrique, qui ne joue pas maladroitement la carte de la mise en abyme sous prétexte qu’il s’agirait d’une troupe de jeunes interprètes s’essayant à monter une pièce de choix du répertoire. Et quel sens, à la fin du deuxième acte, a cette chorégraphie filmée, sur fond de Beau Danube bleu mixé avec des bruits électroniques, qui nous rappellent les temps lointains de Psyché Rock selon Pierre Henry et Michel Colombier et des chorégraphies de Maurice Béjart ?
Dans la fosse de la très sonore Salle Pflimlin, Lucie Leguay mène avec entrain et dans des tempos assez vifs l’Orchestre du Conservatoire de Paris dont on entend, par la précision des attaques (aux timbales par exemple), qu’il est composé de fins musiciens. L’orchestre sonne avec allant, les cordes ont du mordant, et ce bel ensemble soutient un plateau vocal qui va du très bon au superlatif, mais qui aurait encore gagné en cohésion si on lui avait communiqué un souffle et un désir d’occuper l’espace avec une tout autre intelligence.
Illustration : Benoît Rameau, Matthieu Walendzik et Aymeric Biesemans (photo Ferrante Ferranti/CNSMD de Paris)
* Il s’agit du CNSMDP (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris).
Johann Strauss fils : Die Fledermaus (« La Chauve-souris »). Parveen Savart (Rosalinde), Benoît Rameau (Eisenstein), Marie Lombard (Adèle), Yeong Taek Seo (Alfred), Matthieu Walendzik (Falke), Lancelot Lamotte (Blind), Aymeric Biesemans (Frank), Thaïs Raï-Westphal (Ida), Floriane Hasler (Orlofsky), Sébastien Durieux (Frosch). Chœur et Orchestre du Conservatoire de Paris, dir. Lucie Leguay. Nicola Raab (mise en scène). Conservatoire national supérieur de musique de Paris (salle Rémy Pflimlin), 9 mars 2022.