Un piano à Neuf

Le temps d’un concert, la Nouvelle Athènes s’installe dans la mairie du 9e arrondissement de Paris.

Un piano à Neuf

ON CONNAÎT L’ASSOCIATION APPELÉE « La Nouvelle Athènes », dont le nom s’inspire de cette partie du 9e arrondissement de Paris où, dans les années 1830, habitaient les Chopin, Liszt, Sand et autre Berlioz. Le but de La Nouvelle Athènes, rappelons-le, est de faire vivre l’interprétation de la musique romantique sur des pianos d’époque. L’association fédère ainsi interprètes, collectionneurs, restaurateurs, et fait entendre différemment une musique que l’on croit familière, mais qui révèle bien des secrets grâce aux couleurs des instruments historiques quand ceux-ci sont joués dans des lieux de dimensions modestes, permettant à ceux qui écoutent d’avoir la quasi-sensation de toucher le son comme les pianistes font leurs les touches des instruments.

Association nomade, La Nouvelle Athènes fait entendre des pianos Pleyel, Érard, Streicher et bien d’autres, issus de facteurs français, viennois et anglais, dans des lieux aussi divers que le Reid Hall ou la salle Cortot. Le 23 juin, c’est dans la salle du conseil de la mairie du 9e arrondissement de Paris qu’eut lieu un étonnant concert sur le thème de l’esthétique romantique viennoise. Héros de ce concert : un piano fabriqué par Michael Rosenberger (1766-1832) vers 1820, contemporain donc de la maturité de Beethoven et de Schubert, et bien sûr splendidement restauré. Un piano, comme on l’imagine, suffisamment puissant pour faire entendre les accords funèbres qui accompagnent les pages les plus allantes de Schubert, suffisamment délié pour que scintillent toutes les lumières qui habitent L’Invitation à la danse de Weber (devenue, dans l’orchestration de Berlioz, L’Invitation à la valse*), prodigue aussi de ces couleurs parfois fantasques dont sont dépourvus nos grands pianos modernes. Un piano, également, muni de six pédales dont l’une permet de déclencher un petit jeu de cymbales niché à l’intérieur du mécanisme, qui donne de l’imprévu, brièvement, à l’Ouverture dans le style italien D 597 et au Divertissement à la hongroise D 818 de Schubert.

Au plus près des humeurs

Trois pianistes participent au concert, que connaissent bien les fidèles des rendez-vous de La Nouvelle Athènes : Edoardo Torbianelli, Luca Montebugnoli et Benjamin d’Anfray, qui tour à tour ou à quatre mains font entendre les œuvres qu’on a citées mais aussi l’Allegro de la vaste Sonate en fa dièse mineur de Hummel, œuvre pleine de fantaisie et de foucades, le deuxième des trois Klavierstücke D 946 de Schubert, page lyrique et sombre qui contraste avec l’Introduzione e Allegro agitato de Czerny. Non, Czerny n’a pas écrit que des études scolaires, même s’il a été le professeur de Liszt et de la reine Victoria ! (Il existe un dessin célèbre de Kriehuber intitulé Une matinée chez Liszt, où l’on voit Czerny jouer une sonate de Beethoven sur un piano de Conrad Graf en compagnie de Berlioz, de Czerny et du violoniste Ernst.)

Le sommet du concert est atteint par la vaste Fantaisie en fa mineur de Schubert, pour piano à quatre mains. Les trois pianistes se relaient, glissant habilement de leur tabouret, et nous livrent une interprétation à la fois poignante mais très articulée de cette œuvre qui commence dans la mélancolie du Wanderer et, après d’éblouissants développements, s’abîme dans une espèce de désespoir abrupt. Il faut toute la clarté du chant permise par le piano de Rosenberger pour en restituer l’architecture et les sautes d’humeur.

En attendant un autre concert en 2023 dans la mairie du 9e arrondissement, La Nouvelle Athènes nous fixe rendez-vous le dimanche 19 juin à l’occasion d’une déambulation musicale dans le parc de Bois Préau au château de La Malmaison. L’occasion de découvrir (notamment) certain piano carré Érard de 1806.

Illustration : la plaque d’un piano Rosenberger (dr)

* Elle-même devenue un ballet de Fokine intitulé « Le Spectre de la rose », titre qui n’est autre… que celui de la deuxième des Nuits d’été de Berlioz. Depuis deux siècles, la fin éclatante de l’Allegro qui constitue le cœur de L’Invitation déclenche des bravos intempestifs alors que cette page s’achève, comme elle a commencé, par un passage piano plein de délicatesse.

« Vienne 1820 » : œuvres de Schubert, Hummel, Weber, Czerny. Edoardo Torbianelli, Luca Montebugnoli, Benjamin d’Anfray, piano Rosenberger 1820. Mairie du 9e arrondissement de Paris, 23 mai 2022.
Pour tout savoir sur La Nouvelle Athènes, centre des pianos romantiques.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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