Un fil à la patte de Georges Feydeau

Un même rôle pour deux actrices : Noémie Elbaz et Christelle Reboul

Un fil à la patte de Georges Feydeau

Rien à changer à l’article que nous avons publié le 29 juin sur Un fil à la patte. Mais, comme nous le disions, le rôle de la chanteuse Lucette est tenue en alternance, une semaine sur deux, par deux comédiennes : Christelle Reboul et Noémie Elbaz. Notre critique, que nous reproduisons dans son entier, rendait compte de la prestation de Christelle Reboul. Nous avons vu depuis le spectacle avec l’interprétation de Noémie Elbaz. Les deux interprètes sont remarquables, différentes et d’une égale intensité. On ajoutera, pour Noémie Elbaz, qu’elle aussi sait rendre sa noblesse au personnage de petite chanteuse allumeuse, dans un registre plus canaille, et que sa virtuosité amplifie le caractère entier, pétulant, quasi vorace, du personnage, tandis que celle de Christelle Reboul le promène dans une dimension rêveuse et rêvée.

Valeur indémodable du théâtre français, Feydeau revient sur nos affiches quand vient l’été. C’est bon pour les touristes, qu’ils viennent de France ou de l’étranger. Pour l’habituel et public fidèle du théatre, c’est bien aussi, mais à condition qu’on ne lui serve pas le jeu balourd et les clins d’oeil appuyés des acteurs et metteurs qui n’ont pas compris que la comédie, pour être crédible, doit être jouée comme une tragédie. Christophe Lidon aborde Un fil à la patte après des représentations historiques qu’il est diffcile d’égaler (la version de la Comédie-Française, par exemple, mise en scène par Jérôme Deschamps, s’inspire du spectacle mythique de Jacques Charon et Robert Hisrch, dans les années 50). Aussi change-t-il d’angle. Il déplace l’époque en passant de la fin du XIXe siècle à une époque quasi moderne, celle de l’insouciance entre les deux guerres et après la dernière guerre : on est en 1930 ou en 1950, on nesait pas très bien. Il change aussi le tempo. Cela va moins vite ; le rire vient plus de la vérité un peu âpre, cupide et parfois imbécile des personnalités en jeu. Un usage peu banal de la vidéo, qui instaure un décor vivant en noir et blanc, amplifie le charme de ce lent tourbillon où l’appétit sexuel livre un combat toujours délicat avec les convenances du beau monde.
On sait que l’homme affligé d’un invisible « fil à la patte » est un jeune aristo qui, sur le point de se marier avec une jeune fille de la bonne société, a tout intérêt à faire disparaître les traces de sa liaison avec une chanteuse de beuglant. Manque de chance : la mère de la fiancée a invité la chanteuse à venir faire un récital à son domicile, pour fêter l’événement. Mais la fiancée n’est pas l’oie blanche que l’on croit... Le rôle de la chanteuse est central. Il est tenu ici en alternance par Chistelle Reboul et Noémie Elbaz. Deux grandes comédiennes. Nous avons vu Christelle Reboul, une actrice de plus en plus étonnante. Elle s’empare du rôle de la goualeuse avec une passion où éclatent avec la même force l’avidité et la sincérité. En même temps, elle est toujours dans une fête un peu enfantine. Elle gomme la gravité et la férocité, sans les exclure totalement, pour être le plus souvent dans la joie. Elle est éblouissante. Son partenaire principal, Jean-Pierre Michaël, compose un gandin de belle allure, sans sincérité pour sa part, mais toujours habilement à l’intersection entre la classe mondaine et la crapulerie semi-consciente des favorisés. Catherine Jacob, en baronne marieuse, met à profit son art subtilement bougon qui lui permet d’être dans le rôle et dans les marges du rôle. Marc Fayet va jusqu’aux gags de paillasse pour réinventer le peronnage de Bouzin, le clerc de notaire qui écrit de pitoyables chansons, et il y parvient avec beaucoup de drôlerie. Bernard Malaka, grand interprète de rôles intériorisés, s’amuse cette fois à jouer l’étranger d’Amérique du Sud fou des petites femmes de Paris ; sur un registre où on ne l’attendait pas, il fait des étincelles. Stéphane Cottin et Adèle Bernier jouent plusieurs rôles avec une remarquable habileté. Christophe Lidon nous donne un Feydeau en camaïeu. C’est un peu comme si l’on venait s’imprégner des images du Moulin Rouge et que le kaléidoscope qui s’offre à vous tourne dans des couleurs moins crues que prévu mais dans une palette plus riche.

Un fil à la patte de Georges FEYDEAU, mise en scène & scénographie de Christophe LIDON, costumes de Chouchane ABELLO-TCHERPACHIAN, lumières de Marie-Hélène PINON, musique de Cyril GIROUX, chorégraphie de Sophie TELLIER, vidéo LÉONARD, assistanat de Natacha GARANGE.
avec Catherine JACOB, Jean-Pierre MICHAËL, Christelle REBOUL en alternance avec Noémie ELBAZ, Marc FAYET, Adèle BERNIER, Bernard MALAKA, Patrick CHAYRIGUÈS, Cédric COLAS et Stéphane COTTIN.

Théâtre Montparnasse, tél. : 01 43 22 77 74, jusqu’au 25 août. (Durée : 1 h 45).

Photo DR : Jean-Pierre Michaël et Noémie Elbaz.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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