Un festival à Villerville

Cocktail normand

Un festival à Villerville

Petit festival ne deviendra pas grand. La manifestation de Villerville, modeste cité prenant sa part de plage, de rochers et de campagne entre Trouville et Honfleur, n’a pas l’ambition de devenir imposante. Elle offre une dizaine de spectacles et une paire de concerts donnés sur quatre jours, avant que la rentrée théâtrale ne commence vraiment. Son créateur, Alain Desnot – qu’on a connu sur des terrains plus colossaux (le festival d’Avignon, l’Odéon-Théâtre de l’Europe) – donne là leur chance à de jeunes spectacles, faits le plus souvent par de jeunes artistes. Lancé en 2014, le rendez-vous rassemble déjà un grand nombre de fidèles. Pour y venir, il faut aimer le théâtre, adorer la province et la mer, savoir marcher au milieu des champs, accepter de voir au moins trois pièces par jour et prendre plaisir à discuter avec ses voisins quand l’on passe du château au casino ou quand les moments sans théâtre vous immobilisent derrière un verre à l’un des cafés du village. L’endroit a fait une part de sa réputation sur l’éloge de l’ivresse : c’est là et à la bourgade voisine de Tigreville qu’a été tourné le film Un singe en hiver, hommage à un alcoolisme qu’en réalité, on n’a guère le temps de pratiquer à ce niveau, tant les spectacles et l’air normand occupent la tête et les poumons.
Parmi ce que nous avons pu voir en ouverture, deux réalisations sentaient la jeunesse sortant de fac et inversant pour rire un enseignement tourné sur la mythologie antique et la philosophie sophiste (Sumpósion, banquet conçu par Nicolas Zlatoff ; Protagoras d’Yves Bauget) : c’était plaisant, enlevé, intelligent, mais peu libéré de la scolastique des écoles. Merci la nuit par une équipe d’actrices dirigées par Rapahël Defour – Rose Falaise, Pauline Lorandeau, Claire Lespine, Bérangère Sigoure, Cécilia Steiner et Lisa Torres – tourne au grill les thèmes du fantasme, de la sexualité, de la vision de la jeune fille par les jeunes hommes (et vice-versa) en empruntant à Michelet, à Bolaño et à des chansons d’aujourd’hui. C’est encore très tremblé dans la conception mais il y a des moments collectifs fascinants. Poil à gratter, écrit et joué par Adeline Piketty, entend ne pas prendre les gens dans le sens du poil, comme le titre l’indique. Une clocharde s’exprime et détaille tout ce que l’on ne veut pas voir : sa vie difficile dans les rues de Paris, les Tziganes qui sont nos têtes de turcs... « On m’a appris à ranger. Je veux déranger. Vive le chaos ! », dit (à peu près) l’auteur-comédienne qui a une sacrée puissance et une belle flamme. Elle pourra sans doute se demander, au cas où elle remodèlerait son texte, si elle doit continuer à être à la fois dedans et dehors. Il n’est pas certain qu’alterner la composition d’un personnage et le récit d’un témoin qui l’observe n’affaiblisse pas quelque peu la tension de cette belle soirée.
Parfait et percutant est, enfin, Tertullien, conçu et joué par Hervé Briaux et mis en scène par Patrick Pineau. Briaux et Pineau ne sont pas des jeunes gens, ils ont porté les plus grands textes. Ils se renouvellent là avec une idée qu’on n’avait pas eue avant eux et qui vient de Briaux, si l’on a bien compris. Voilà, renaissant sur scène, un texte du IIe siècle après Jésus-Christ, écrit par le théologien Tertullien et flagellant au nom du Christ les comédiens et tout ce qui relève du spectacle impie : le théâtre, le cirque d’alors, les jeux olympiques. Dans le théâtre, rien pour Tertullien ne peut être sauvé : tout respire le vice et pervertit le public. Briaux a resserré lui-même les propos de l’auteur latin. Pineau a noué sa mise en scène comme une séance de tribunal sans répit ni échappatoire. En costume noir d’aujourd’hui, Briaux incarne un procureur implacable, faisant de chaque mot une lame tranchante. C’est follement drôle et terrifiant. On pense évidemment aux ennemis du théâtre et du divertissement qui sévissent aujourd’hui, lançant bombes et anathèmes. On souhaite beaucoup d’avenir à ce moment d’une extraordinaire acuité dans sa pensée et sa facture. Le festival de Villerville fait là découvrir un spectacle important et a sans doute, pour les jours à venir, d’autres merveilles dans son sac.

Un festival à Villerville, jusqu’au 3 septembre, tél. : 02 31 87 77 76. www.unfestivalavillerville.com

Photo Victor Tonelli : Hervé Briaux jouant Tertullien au château de Villerville.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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