L’Orfeo de Sartorio à l’Athénée

Un autre Orfeo

Avec la complicité de Benjamin Lazar et Philippe Jarrousky, le Théâtre de l’Athénée révèle un opéra méconnu.

Un autre Orfeo

RÉVÉLÉ EN JUIN DERNIER à l’Opéra de Montpellier, où l’on pouvait l’entendre pour la première fois en France, voici venir au Théâtre de l’Athénée l’Orfeo d’Antonio Sartorio (1630-1680), opéra créé à Venise en 1672. Composé sur un livret d’Aurelio Aureli, cet ouvrage vit le jour quatre-vingt-dix ans avant celui de Gluck, avec lequel il a peu à voir. On ne saurait non plus le comparer à celui de Monteverdi (1607) qui, comme Gluck se concentre sur la douleur d’Orphée et sa descente aux enfers afin d’y retrouver Eurydice. S’il fallait vraiment comparer l’ouvrage de Sartorio (mais comparaison n’est pas raison), on pourrait éventuellement le rapprocher de L’incoronazione di Poppea de Monteverdi, avec lequel il partage les développements croisés et les nombreux personnages.

Aureli et Satorio mettent en effet en scène, ici, un frère d’Orphée, baptisé Aristée, fou amoureux d’Eurydice, et des personnages tels qu’Autonoe (la fiancée d’Aristée), Erinda (l’amoureuse décatie), Achille et Hercule hors de leurs emplois habituels, le médecin Esculape, Bacchus, le centaure Chiron, etc. À la fin, alors qu’il l’enlève des enfers, Orphée se retourne évidemment sur Eurydice, qui disparaît sans qu’un dénouement nous soit proposé : l’essentiel, pour Sartorio et son librettiste, est qu’Aristée se réconcilie avec Autonoe.

Comique et tragique

Lyriques, dramatiques, parodiques, comiques, les épisodes se succèdent au fil d’un opéra de grande ampleur, dont la musique est plus sensuelle que variée : le cantar recitando est d’abord un plaisir pour l’oreille. Les airs se succèdent, courts pour la plupart, d’où se détachent ceux d’Eurydice (« Non so dir », riche de vocalises, et « Se desti pietà »), les deux airs d’Erinda au premier acte, étonnamment déhanchés, l’air d’Achille qui tout à coup se fait disciple d’Apollon, les déplorations d’Aristée et d’Orphée après la mort d’Eurydice, la brève page insolite accompagnant l’arrivée de Pluton.

Les personnages, pour les quatre principaux (Eurydice, Autonoe, mais aussi Orphée et Aristée), sont chantés par des voix féminines, cependant que le rôle travesti d’Erinda revient au ténor Clément Debieuvre. Deux contre-ténors et deux basses étoffent l’éventail vocal. À l’Athénée, la distribution réunie par l’Arcal se compose de dix jeunes interprètes qui ont bénéficié d’une formation à l’abbaye de Royaumont en compagnie du chef et du metteur en scène. Ce sont des artistes déjà aguerris, certains ayant une présence scénique ou vocale plus affirmée (notamment Lorrie Garcia, fougueux Orphée, Michèle Bréant, qui prend de l’assurance au fil de la soirée, et surtout Éléonore Gagey, qui fait d’Aristée le personnage principal de l’opéra). Tous sont pris en main par Benjamin Lazar, dont la latitude ici est plus grande qu’à l’occasion de sa mise en espace du Grand Macabre, le 2 décembre, à Radio France !

Juvénile élégance

Dans une scénographie réduite à quelques praticables, la mise en scène se concentre sur l’action et fait bouger les chanteurs-acteurs avec grâce. On a connu toutefois des réalisations plus serrées de la part de Benjamin Lazar : n’oublions pas sa résurrection presque miraculeuse de la gestique et de la diction du XVIIe siècle dans L’Autre Monde ou les états et empires de la lune de Cyrano de Bergerac, avec la part de rigueur et de fantaisie qu’une telle démarche implique. Les quatre personnages amoureux sont figurés avec une juvénile élégance, grâce également aux costumes d’Alain Blanchot et aux maquillages de Mathilde Benmoussa, Hercule et Achille promènent sur eux la blancheur des statues, le berger Orillo a une dégaine très punk ; quant à Erinda, avec cigarette, perruque et faux seins, elle semble sortie d’un spectacle d’Olivier Py.

Dans la fosse, Philippe Jarrousky dirige l’ensemble Artaserse avec allant dans l’acoustique idéale du merveilleux théâtre de l’Athénée. On aimerait plus de nuances, parfois, un plus grand abandon dans les pages élégiaques, et des cornets à bouquin partant moins à l’aventure, mais la tension imprimée à la musique fait vibrer cet Orfeo nerveux et prolixe.

Illustration : Erinda, telle une vedette de music-hall (photo Marc Ginot)

Antonio Sartorio : Orfeo. Avec Lorrie Garcia (Orphée), Michèle Bréant (Eurydice), Éléonore Gagey (Aristée), Anara Khassenova (Autonoe), Clément Debieuvre (Erinda), Alexandre Baldo (Esculape, Pluton), Matthieu Heim (Chiron, Bacchus), Abel Zamora (Hercule), Fernando Escalona (Achille), Guillaume Ribler (Orillo) et Gabriel Avila Quintana (le sanglier), Chloé Scalese (le cerf), Théo Pendle (le félin). Mise en scène : Benjamin Lazar, Adeline Caron (scénographie), Alain Blanchot (costumes), Mathilde Benmoussa (maquillages & perrruques), Philippe Gladieux (lumières). Ensemble Artaserse, dir. Philippe Jaroussky. Théâtre de l’Athénée, 8 décembre 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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