Un Picasso de Jeffrey Hatcher
Corrida en sous-sol
On avait déjà vu cette pièce au théâtre de Nesles il y a quatre ans, et l’on en avait aimé les qualités dramatiques en en déplorant un regard trop américain sur l’Occupation à Paris et sur Picasso. La nouvelle adaptation de Véronique Kientzy nuance ce qui pouvait être mal exprimé (ainsi Apollinaire n’est plus présenté comme un homosexuel mais comme quelqu’un d’ « un peu homosexuel », ce qui reste une grosse bourde !). Et la pièce est empoignée avec plus de nervosité. Sans s’appuyer sur un fait authentique mais en se souvenant surtout du climat de l’époque, Jeffrey Hatcher imagine que Pablo Picasso est convoqué à Paris par une attachée culturelle allemande. A sa grande surprise, il apprend qu’une de ses œuvres va être brûlée. C’est à lui de la choisir, après l’avoir authentifiée ! Ainsi en ont décidé les nazis pour un prochain autodafé. Le peintre réagit d’abord avec audace et superbe : non, tel dessin n’est pas de lui… Mais, même puissant comme un taureau, il n’est pas maître du jeu. Il faut qu’il compose, qu’il recule, qu’il accepte certaines des obligations énoncées. Il se bat quand même. Elle même se dévoile : elle a beau être la porte-parole d’un pouvoir en guerre contre l’ « art dégénéré », elle admire la peinture de Picasso à laquelle elle a consacré de longues recherches avant la guerre et, enfin, elle est une jolie femme qui pourrait ne pas déplaire à cet artiste qui passe sans souffler d’une muse à une autre.
Dans un décor encombré de caisses et de valises, Anne Bouvier imprime un rythme serré à l’affrontement. C’est une corrida en sous-sol ! Et un pugilat sensuel. Jean-Pierre Bouvier crée un Picasso tout à fait athlétique, d’une grande puissance dramatique, plus noble et plus vibrant finalement que le personnage écrit par l’auteur (Hatcher cherche à débusquer quelque lâcheté, quelque mesquinerie dans le grand homme. L’acteur se garde bien d’adopter ces travers ! ). Dans le rôle de l’attachée culturelle, Sylvia Roux trace bien la dualité du personnage, raide, austère dans la fonction officielle qu’il représente et touchante, fragile, traversée d’émotions contraires lorsque craque la cuirasse de l’hitlérienne. La prestation des acteurs est intense, pulvérisant l’académisme d’une pièce construite selon les critères de l’efficacité.
Un Picasso de Jeffrey Hachter, adaptation de Véronique Kientzy, mise en scène d’Anne Bouvier, décor de Charlie Mangel, lumières de Denis Loransky, costumes de Mine Verges, musque de Raphaël Sanchez, avec Jean-Pierre Bouvier et Sylvia Roux.
Studio Hébertot, 21 h le jeudi, 19 h le vendredi et le samedi, 17 h le dimanche, tél. : 01 42 93 13 04, jusqu’au 3 mars. (Durée : 1 h 20).
Photo DR : Jean-Pierre Bouvier.